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agréable ; mais le désir des nouveautés est-il un moyen de tendre au progrès vrai ? Est-on dans le vrai lorsqu’on suppose que le progrès consiste dans le changement ? C’est là une question de thèse qui aurait ses partisans et ses adversaires et que je ne me hasarderai pas à discuter. Ce que je me bornerai à dire, quant à présent, c’est que nous connaissons la poudre depuis longtemps, — on nous fait l’honneur d’admettre que nous avons inventé la poudre ; — mais, c’est en ceci que nous différons d’opinion avec nos frères d’Occident, nous ne l’avons employée que pour faire des feux d’artifice, et, sans les circonstances qui nous ont fait faire la connaissance des Occidentaux, nous ne l’aurions pas appliquée aux armes à feu. Ce sont les jésuites qui nous ont appris l’art de fondre des canons. Ite, docete omnes gentes.

Nous réclamons aussi la priorité pour l’invention de l’imprimerie. Il n’est plus mis en doute aujourd’hui par personne qu’au xe siècle l’art de la typographie fut connu et appliqué en Chine. Y aurait-il donc une grande difficulté à admettre que le principe de cette invention merveilleuse ait pénétré vers l’Occident par la voie de la Mer-Rouge ou de l’Asie-Mineure ? Je ne le crois pas. J’en dirais autant des propriétés de l’aiguille aimantée : tous les travaux d’érudition qui ont été entrepris à ce sujet, — et ils sont nombreux, — établissent l’antiquité de cette précieuse découverte et nous l’attribuent. Il est avéré que les Arabes se servaient du compas de mer à l’époque des croisades et qu’il a été transmis aux croisés, qui l’ont rapporté en Occident. En Chine, la propriété de l’aiguille aimantée remonte à une haute antiquité. On trouve dans un Dictionnaire chinois écrit l’an 121 de l’ère chrétienne cette définition du mot Aimant : « Pierre avec laquelle on peut imprimer une direction à l’aiguille. » Et, un siècle plus tard, nos livres expliquent l’usage du compas.

Ce sont là des questions de détail qui n’ont en elles-mêmes qu’un intérêt relatif, mais qui me permettent de fonder sur des bases certaines l’opinion si contestée que nous soyons autre chose que des naïfs quand nous nous refusons à admettre le système des changemens. Voilà déjà à notre actif la poudre, l’imprimerie, la boussole, et je pourrais y adjoindre la soie et la porcelaine, qui certes sont de magnifiques inventions de notre industrie et qui suffiraient à nous assigner un rang parmi les nations civilisées. Il faut conclure que, si dans l’ordre des découvertes éminemment utiles, nous avons conquis une place distinguée, nous pouvons aussi apporter dans nos institutions et nos lois le même esprit pratique et obtenir des résultats suffisamment parfaits pour ne pas désirer de les voir changer, sous prétexte de savoir ce qu’il en adviendrait.

Il existe donc, sans contestation, une civilisation humaine dont