Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/852

Cette page a été validée par deux contributeurs.

cents ans, dans les ténèbres de l’ignorance. Plusieurs parmi elles n’étaient pas fondées, et telle qui resplendit aujourd’hui de tout l’éclat de la renommée n’était qu’une imperceptible puissance.

Ces remarques sont curieuses à faire : elles sont surtout importantes pour un Chinois, qui a bien quelque droit de jeter sa poignée de merveilles dans la balance universelle où s’estiment tous les services rendus à l’humanité.

Si l’on veut bien considérer le peu de rapports que nous avons eus avec les autres peuples, il faudra cependant convenir qu’il est au moins surprenant que nous ayons connu tout ce que nous connaissons. On s’accorde généralement à dire qu’à l’exception de l’astronomie et de la géographie, toutes les autres sciences que nous possédons sont le résultat de nos propres investigations, et, tandis qu’il n’existe aucun peuple sur le globe terrestre qui puisse revendiquer comme un droit la propriété d’un système de civilisation, qui puisse prétendre s’être formé de lui-même et être, en un mot, original, nous seuls nous pouvons nous parer de cette gloire. Nous n’avons imité personne ; il n’existe de civilisation chinoise qu’en Chine.

Si on étudie notre théâtre, par exemple, on le reconnaîtra original comme celui des Grecs. J’espère avoir prochainement le loisir d’en faire connaître les principales œuvres, quoique de savans érudits, — Stanislas Julien entre autres, — en aient publié divers fragmens. Mais ces travaux ne sont pas suffisans pour fixer le génie particulier de notre école littéraire, qui excelle dans beaucoup de genres, et qui fournirait d’amples matières à l’étude des Occidentaux.

Ce qu’il m’importe de faire remarquer dès maintenant, — et j’en conçois la raison depuis que je me suis donné le plaisir d’étudier les littératures de l’Europe et leur histoire, — c’est que nous formons un monde à part dans l’univers terrestre et que la seule question qui se dresse devant l’esprit attentif est de savoir s’il n’a pas existé entre notre Orient et l’Occident une civilisation type qui ait étendu ses rameaux dans un sens ou dans l’autre ; ou bien, en employant une autre figure, n’aurait-il pas existé une source commune jaillissant des divers sommets d’une crête de montagnes, sorte de ligne de partage, et se répandant sur deux versans opposés, vers l’orient et vers l’occident ?

Cette hypothèse peut être acceptée, à moins qu’on ne suppose que les diverses tribus composant la race humaine, dispersées à la suite de quelque grand cataclysme, se sont successivement élevées par les efforts continus du travail, amassant péniblement tous les trésors de la science et parvenant ainsi, par une suite non interrompue de progrès, jusqu’à un état stable et défini.