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En outre, nous avons vu que l’état, sans enlever à personne de son droit, peut user lui-même du sien pour accroître, en face de la propriété individuelle, ce que nous avons appelé la propriété sociale, et pour favoriser ainsi une répartition moins inégale des richesses. Les ressources nouvelles que l’état pourrait se créer auraient, entre autres avantages, celui de rendre possibles les systèmes d’assurance universelle. M. de Laveleye a montré que, si les ouvriers épargnaient seulement les sommes énormes qu’ils consacrent, — eux qui n’ont pas le nécessaire, — à ce superflu funeste et abrutissant de l’alcool et du tabac, ils pourraient en vingt ans acheter toutes les manufactures où ils travaillent. D’autre part, ajouterons-nous, si ceux qui sont dans l’aisance épargnaient un peu de leur superflu et retranchaient quelque chose de leurs dépenses, souvent nuisibles, pour venir en aide aux travailleurs, ils pourraient avant vingt ans leur donner toutes les manufactures où ils travaillent. A plus forte raison, les assurances pourraient-elles mettre à l’abri d’une foule de misères, et cela au moyen de sommes relativement modiques, d’autant plus modiques que les assurances seraient plus généralisées. Ce qui fait la force des capitaux dans les sociétés modernes, c’est leur union et leur combinaison; pour le chimiste, l’acide nitrique isolé et le coton isolé n’ont guère de puissance, mais leur combinaison fera sauter des quartiers de roche et aplanira des montagnes. En face des capitaux associés, il faut que les travailleurs associent leur prévoyance et leurs épargnes, dont la force est centuplée par le régime des assurances.

La vraie assurance populaire pourrait s’appeler l’assurance du capital humain : elle a pour objet principal de l’assurer contre la destruction prématurée par la mort et contre le chômage. M. Brentano a montré que l’ouvrier, pour être garanti, devait contracter quatre assurances différentes : 1° une assurance ayant pour objet une rente destinée à nourrir et à élever ses enfans dans le cas où il mourrait prématurément : «c’est, dit M. Léon Say, la garantie du renouvellement de la classe ouvrière; » 2° une assurance de rente pour ses vieux jours; 3° une assurance pour le cas d’infirmités, d’accidens et de maladie; 4° une assurance pour le cas de chômage par suite du manque de travail. M. Engel, dans ses statistiques, évalue à 0 fr. 60 par jour le prélèvement nécessaire pour réaliser