Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/761

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en Toscane ; ils comptaient sur Vittorio Capello pour être tenus au courant, jour par jour, de tout ce qui se passait à la cour de Florence, et leur mauvaise humeur se laissa voir, lorsqu’à la façon dont leur créature était congédiée, ils s’aperçurent que l’alliance conclue avec eux ne dépassait point la portée ordinaire.

Les rapports du grand-duché, plus que bienveillans avec l’Espagne, prêtaient également à réfléchir. Don Pietro de Médicis servait dans l’armée espagnole en qualité de général, et tous les jours on recrutait des soldats en Toscane. Pour troubler cette bonne harmonie, qui décidément portait ombrage à la politique de Saint-Marc, on imagina d’exploiter la jalousie du roi Philippe et de compromettre ainsi le grand-duc. On affecta de redoubler envers lui de prévenances, on fit montre et tapage si bien que la soupçonneuse majesté commença de regarder d’un mauvais œil cette union intime de son allié avec un pays ami de la France et volontiers hostile à l’Espagne. Venise excellait à ce jeu hypocrite, elle y gagna que le grand-duc fut vertement admonesté à cause de ses amitiés à double face. Il est vrai qu’il se défendit et de manière à convaincre son juge; mais sa défense accrut encore l’irritation de Venise, où d’ailleurs Vittorio Capello ne négligeait aucun moyen de nuire. Ce triste personnage avait, à son retour, trouvé les esprits montés à souhait pour ses mensonges et chacun le crut sur parole quand il vint représenter son expulsion sous couleur de bannissement politique et dénoncer comme une insulte faite à la république l’exécution sommaire d’un escroc pris la main dans le sac. Que ne peut la raison d’état invoquée à point! Y songeait-on? Un patricien de Venise traité de la sorte, pis encore, Venise tout entière insolemment jetée hors des conseils du gouvernement grand-ducal ! Bianca, pour sa part, n’ignorait rien des manœuvres dirigées près la cour d’Espagne contre son mari; c’est dire qu’à Florence ainsi qu’à Venise, on avait cessé de s’entendre. Une querelle était imminente, elle éclata au cours de l’année 1582, à l’occasion des préliminaires d’un mariage entre le fils du duc de Parme et la nièce du doge Nicolas da Ponte. Le duc réclamait pour lui le titre d’altesse sérénissime et pour sa nièce les honneurs précédemment décernés à Bianca Capello. Instruite des négociations alors qu’elles étaient encore secrètes, l’altière dame se déclara blessée dans ses droits et fit remettre au sénat par le résident de Florence une note affirmant son opposition. Que la fiancée d’un petit prince, autrement dit, d’un simple gentilhomme, obtînt le titre de fille de la république réservé aux seules têtes couronnées, voilà ce qu’elle n’admettrait jamais, se refusant à croire que le sénat voulût amoindrir dans son mari la dignité de fils de la république et que les amicales protestations d’autrefois ne