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tout l’hiver. Choyé, gâté, dorloté par Bianca, consulté par le prince, il eut toutes les jouissances de la famille et du gouvernement; on vivait, on travaillait ensemble, et cette politique des trois déconcerta bientôt l’entente de Parme. Ferdinand, après en avoir habilement détaché le cardinal d’Este, un de ses chefs, lui prit le cardinal Gonzague, et quand il quitta la Toscane pour rentrer à Rome, comblé de présens par son frère, les ennemis des Médicis s’étaient peu à peu dispersés.


VIII.

L’honneur de cette réconciliation revenait à Bianca ; rien de plus simple qu’elle en triomphât et que son crédit s’en accrût dans la famille. Le cardinal l’avait vue à l’œuvre, elle et lui représentaient deux forces, et comme ces deux forces avaient besoin l’une de l’autre, elles s’allièrent tacitement sur le terrain de l’ambition. Ferdinand se fiait à Bianca pour le maintien des bons rapports avec son frère, et Bianca se flattait que la popularité du cardinal l’aiderait à vaincre la haine dont les Florentins la poursuivaient, haine tenace, invétérée, et d’ailleurs assez justifiée par des griefs accumulés. Que leur était cette personne, sinon le mauvais génie du grand-duc, la furie acharnée après sa première femme? Cette union rétablie dans la famille souveraine leur plaisait moins venant de Bianca. Ils la tenaient en suspicion dans tous ses actes, l’accusaient de corrompre et de perdre le grand-duc, qu’elle poussait tantôt à la plus sordide avarice, tantôt aux dilapidations, selon qu’il s’agissait d’elle ou de la grande-duchesse Jeanne, sa victime, on l’incriminait même de sorcellerie. Longtemps après la mort de Bianca Capello, on montrait encore dans sa villa de Pratolino une chambre dite il stillaroso di Bianca. Là, s’il fallait en croire la légende, Canidie pratiquait ses incantations : petits enfans jetés à l’eau bouillante, cœurs de crapauds, yeux de vipères assaisonnés à l’italienne. Il n’est fameuse destinée qu’à ces époques du moyen âge et de la renaissance n’accompagnent de pareils bruits, surtout quand le drame se joue à Florence dans le palais ou la villa d’un Médicis. Point de fumée sans feu, dit le proverbe. Il est à croire que ces fourneaux célèbres ne servaient qu’à préparer des philtres et que c’est cette fumée-là que les faiseurs de fables auront interprétée à la mode du temps. La liberté ne fut jamais en Italie que l’écrasement du plus faible par le plus fort; un parti vainqueur, l’autre battu, le vainqueur au dedans des murailles, l’autre dehors. C’est purement et simplement la tyrannie que cette liberté, mais la poésie éclaire tout cela d’un rayon de gloire; on oublie le côté mesquin des querelles, l’étroitesse