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des fêtes et des solennités, nous avons tenu à donner à cette alliance une consécration dont la postérité se souvienne. En foi de quoi, et avec l’assentiment unanime du sénat, nous avons déclaré et déclarons fille de la République la très noble et illustre dame Bianca Capello, grande-duchesse de Toscane, et nous l’avons fait à cette double fin de reconnaître les bonnes dispositions du grand-duc son époux, que nous chérissons comme un fils, et de montrer à la grande-duchesse, notre fille bien-aimée, la joie extrême que nous procure son élévation. Et donc, pour que personne n’en ignore, nous avons écrit et signé ces lettres patentes revêtues de notre sceau ducal. »

J’ai dit que les événemens procèdent presque toujours par engrenage. Ce document, le premier où la qualité de grande-duchesse de Toscane soit attribuée à Bianca Capello, nous le démontre. François, en parlant de Bianca, passe sous silence toute qualification officielle; il dit : « ma femme, » et le doge, au contraire, appuyant sur le titre, lui répond : « la grande-duchesse votre femme.» C’est que, d’un côté, François essaie encore d’éluder les conséquences, tandis que la fière république n’entend pas désormais qu’une fille de sa provenance soit épousée de la main gauche. Tout le monde savait à Venise que Bianca Capello était devenue la femme du grand-duc, l’ambassade de Mario Sforza ne laissait sur ce point aucun doute; mais que François en l’épousant l’eut élevée au rang de grande-duchesse, le fait avait besoin d’être éclairci; la lettre de François Ier au doge n’en dit rien, celle de Bianca se borne également à constater la circonstance du mariage, elle est scellée du sceau de sa famille, et les armes des Médicis n’y figurent pas, détail qui naturellement fut remarqué. Venise, avant de rendre son décret, demanda des explications ; le résident de Toscane écrivit au grand-duc, ce que l’altesse répondit, on l’ignore, mais ce qu’il y a de certain, c’est que les Vénitiens furent les premiers à saluer leur brillante compatriote du titre de grande-duchesse de Toscane, affectant de ne pas même pouvoir supposer que la dignité de fille de la république eût pu jamais être sollicitée en faveur d’une personne qui ne serait point destinée au rang suprême.

Les choses ne comportaient donc plus d’atermoiement, et François n’avait qu’à se soumettre aux Vénitiens, le forçant cette fois d’accoucher de sa propre volonté. Venise avait eu ses fêtes, à Florence maintenant d’avoir les siennes à propos de l’investiture et présentation de Bianca comme « fille de la République et grande-duchesse. » Oncques ne se vit pareille magnificence : toute la noblesse de Saint-Marc dans la cité des Médicis. Le père et les autres parens de Bianca Capello ouvraient le cortège, conduits par le patriarche d’Aquilée, dont les anathèmes contre l’amante de Buonaventuri avaient, on s’en souvient, mené tant de bruit. À ce défilé triomphal succédèrent,