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s’écriait-il un jour devant Bianca, qui, sur-le-champ, se rendit compte des avantages qu’elle pouvait tirer de la satisfaction d’un pareil vœu. Donner ou, au besoin, procurer un héritier à la couronne grand-ducale, quel objectif pour une ambition comme la sienne ! Le prince avait juré de l’épouser au jour que tous les deux se retrouveraient libres. En ce qui la concernait, les obstacles semblaient s’aplanir : le meurtre de Buonaventuri avait, de son côté, déblayé la voie ; restait bien, de l’autre, la grande-duchesse, mais si pauvre de santé, si réduite à consomption par les ardeurs de son tempérament ! Que Bianca remplît la condition voulue, qu’elle eût un fils, et la loi florentine, loin de contrarier la plus vive de ses espérances, imposerait au prince le devoir d’y faire droit. Chose grave pourtant et d’exécution plus que délicate, la nature ne s’y prêtait point ; Bianca le savait et s’en affectait. De ses rapports avec Buonaventuri un seul enfant était né : sa fille Pelegrina, et, depuis lors, plus de grossesse ! Faudrait-il donc voir s’écrouler son rêve, échouer au port ? Pour triompher d’une stérilité désastreuse, elle employa tous les moyens, les naturels et les surnaturels ; après les médecins, les astrologues ; après les astrologues, les sorcières. Ni les vulnéraires pharmaceutiques, ni les infusions d’herbes cueillies sous la potence au clair de lune, rien ne réussit. Désespérant d’être jamais plus mère, elle n’en poursuivit pas moins son idée fixe de donner un fils au grand-duc, et voici la trame qu’elle ourdit pour accoucher malgré Lucine.

Un beau matin de l’an de grâce 1575, l’état intéressant fut annoncé à qui de droit, et tandis que Monna Bianca se prétendait atteinte de tous les accidens qui accompagnent d’ordinaire les commencemens d’une grossesse, on introduisait secrètement dans une petite maison des faubourgs une superbe fille de la campagne que Giovanna Santi, sa camériste, avait choisie à point pour l’usage qu’on en voulait faire. De ces deux grossesses ingénieusement juxtaposées, la vraie allait servir à masquer la fausse, et, le 29 août 1576, la villageoise était à peine délivrée que Bianca mettait au monde un beau garçon. Les chroniques nous parlent d’un enfant caché dans un luth que l’on apporta dans la chambre de l’accouchée ; quoi qu’il en soit, la comédie fut jouée à ravir. Bianca avait ressenti les premières douleurs pendant le jour, le prince ne la quittant pas, fort inquiet ; vers le soir, les crises recommencèrent jusque très avant dans la nuit, tellement que son altesse, accablée de fatigue, d’émotion, dut rentrer se reposer quelques heures ; les médecins eux-mêmes furent congédiés sous prétexte d’accalmie, et tout le monde était à peine sorti que l’accouchement avait lieu sans douleur ni crise aucune, Bianca se trouvant seule en tête-à-tête avec Giovanna Santi, sa fidèle servante et confidente. On était allé