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Maintenant passons au cardinal; il ne lui marchanda point ses bons offices. Le cardinal Ferdinand, moins bien vu par son frère, le duc régent, n’en était que plus populaire; c’était même le seul Médicis qui fût aimé des Florentins. Par lui on pouvait imposer silence aux diffamations, étouffer les haines; il est vrai que son éminence ne se laissait point aisément aborder; sa gravité, l’orgueil de race, jetaient un froid. Bianca pourtant ne tarda pas à réussir également de ce côté. Le cardinal menait grand train, et ses dépenses dépassaient de beaucoup ses revenus. Fort endetté pour le moment, il faisait les yeux doux à la cassette de son frère, mais la cassette ne cédait pas; François se montrait intraitable. Bianca, témoin de ces débats, eut d’abord l’air de ne s’apercevoir de rien; puis, quand les choses commencèrent à se gâter, une brouille devenant imminente, elle entra sournoisement dans le jeu du cardinal, et le cardinal, par simple intercession de la madone, obtint la somme qu’on lui refusait. Bis repetita placent : une autre fois, comme il avait besoin de 20,000 écus pour se mettre en route et qu’il rencontrait de nouvelles résistances : « Partez toujours, lui dit-elle en souriant; j’ai l’idée que cet argent vous attend à Rome. » Le cardinal partit et trouva en arrivant, non pas 20,000 écus, mais 30,000. Le moyen pour un galant homme de bouder à de telles avances! Bianca, pour mieux se l’attacher, voulut aussi être son obligée. Elle lui recommandait ses amis, sa famille, souhaitant de lui devoir son salut; « Je suis malade, écrit-elle; pensez à moi dans vos prières, car je sais que Dieu les écoute. » Et le cardinal, quoique l’ami de la femme de son fière, en vint ainsi bientôt à se lier avec la rivale.

Certaine désormais de n’avoir rien à redouter de la famille, Bianca se sentait libre d’abuser. François, chaque jour plus épris, rendait les armes. Elle était la beauté, l’enchantement de cette cour et, disons-le, l’indispensable distraction d’un prince d’humeur sauvage dont un intérieur fastidieux augmentait encore la mélancolie. Sa femme, Jeanne d’Autriche, l’ennuyait, et ses relations avec elle se bornaient aux devoirs de la bienséance. Jeanne était de figure agréable, mais de santé frêle, et son caractère douloureux, son rigorisme dévot, sa raideur empesée diminuaient encore le peu de grâces dont la nature l’avait pourvue. Les Toscans et les mœurs toscanes lui déplaisaient; élevée à la cour sévère d’Autriche, adonnée depuis l’enfance aux exercices de piété, elle fuyait comme un écueil pour la vertu jusqu’à l’apparence de ces plaisirs qui sont un besoin pour les gens du Midi. Si l’on ajoute à ces dispositions la jalousie fort naturelle, mais acariâtre et sèche, que devaient alimenter dans ce cœur hautain les avantages de sa rivale, on concevra le redoublement d’amour que François dut éprouver pour