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un écrin d’une armoire et de l’écrin une foule de bijoux : diadèmes, colliers, bagues, pendans d’oreilles dont elle s’amuse à parer Bianca; puis, tout à coup, la laissant seule: « Attendez-moi ici, je reviens, » Bianca continue de se parer; elle se regardait dans une glace lorsque soudain elle aperçut, s’y reflétant, un homme debout derrière elle; elle se retourne, c’était le prince. Bianca jette un cri, feint de vouloir courir à la porte; François la retient et la rassure : « Je ne suis pas venu ici en de lâches desseins, mais attiré par l’intérêt que m’inspire votre position. Me voici, puis-je vous être utile? Regardez-moi comme un protecteur, comme un frère et, à ce double titre, demandez-moi ce que vous voudrez, et ce que vous m’aurez demandé, vous l’obtiendrez, s’il est au pouvoir d’un homme, d’un prince ou d’un roi de vous l’accorder. » Et François de Médicis, en effet, lui tint parole.


III.

Nous sommes en 1560, deux ans avant le mariage de François-Marie de Médicis, qui, pour si grand prince qu’il se donne, n’exerce encore le pouvoir souverain que par délégation. Son père Cosme, retiré du gouvernement, vivait au palais Pitti en riche gentilhomme, en agronome, cultivant et péchant, se livrant au trafic des pierres précieuses, maniant l’or et les bijoux, chimiste industrieux et commerçant imperturbable sur terre et sur mer. Ses relations avec son fils étaient prudentes et convenables; en particulier, il le traitait de façon aisée et familière, mais ramenait à soi l’autorité dès qu’il lui parlait en public; de son côté, le jeune prince marquait à son père une respectueuse obéissance et lorsque Cosme l’engageait à ne pas s’écarter des voies de la prudence et de la morale, il affectait de recevoir ses avis avec reconnaissance; comédie mutuelle où chacun avait intérêt à se prêter et qui, dans ce milieu des Médicis, infesté de corruption naïve, a quelque chose de réjouissant comme une scène des dieux d’Homère. Car n’oublions pas que ce père qui reproche à son jeune fils le naissant scandale de ses amours avec Bianca est lui-même un débauché de premier ordre, l’ancien amant d’Éléonore d’Albizzi, dont il a un fils, l’amant actuel de Camilla Martelli, qu’il compte épouser sitôt que le pape ou l’empereur l’aura fait grand-duc. La couronne grand-ducale est ce qui l’occupe exclusivement, le reste à ses yeux compte à peine; de là ses admonestations toutes paternelles : « Amusez-vous, dilapidez, tuez même si votre bon plaisir l’exige, mais ne me brouillez pas avec l’empereur. » Admirons incidemment le personnage presque bouffe que jouait Cosme en ces dialogues de famille. Vous pensez au Prusias de Corneille,