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Paris pour préparer par l’entente des deux pays l’œuvre de la conférence. Peu s’en faut que les ministres, M. Gladstone, lord Granville, ne soient représentés comme tout prêts à livrer les droits de la suprématie britannique en Égypte et que la France, à son tour, ne soit accusée de vouloir abuser des embarras de l’Angleterre pour lui imposer des conditions onéreuses, pour essayer de ressaisir une partie de la prépondérance exercée autrefois en commun sur les bords du Nil. L’opinion anglaise est devenue vraiment bien susceptible, bien irritable, et elle serait passablement irréfléchie si toutes ces émotions qui se répandent en polémiques violentes n’étaient un peu factices. Ce que la France demande réellement dans ces négociations qui se poursuivent encore à l’heure qu’il est, nous ne le savons pas au juste, quoique les journaux anglais se plaisent à le répéter chaque jour. La France, dans tous les cas, ne peut visiblement songer à reconquérir une prépondérance privilégiée, à contester les droits britanniques dans la vallée du Nil; elle n’a surtout aucun intérêt à susciter de nouveaux embarras à l’Angleterre, à aggraver la situation d’un cabinet, qui, s’il était renversé un de ces jours, serait inévitablement remplacé par un ministère moins bien disposé pour notre pays. Nous n’aurions à cela aucun avantage, et si notre diplomatie est bien dirigée, elle ne peut évidemment s’inspirer que d’une pensée amicale et conciliante. Que la France, avant d’entrer dans la conférence où elle est appelée, avant de se prêter à une révision de la loi de liquidation égyptienne, veuille éclaircir une situation devenue par trop obscure, qu’elle tienne à obtenir quelques garanties au sujet de la durée de l’occupation anglaise ou de l’organisation d’un contrôle international sur les finances de l’Égypte, c’est possible; mais il n’y aurait là, en vérité, ni une exigence bien extraordinaire, ni un acte d’hostilité, ni surtout une offense pour l’orgueil et les droits de la nation britannique. En quoi cela peut-il sérieusement motiver ce déchaînement de soupçons et d’accusations qui, depuis quelques jours, compliquent singulièrement la question et pourraient en compromettre la solution? Le cabinet de Londres, quant à lui. est sans doute le premier à admettre que son occupation de l’Égypte ne peut pas être indéfinie, que, d’un autre côté, il n’y a rien de bien exagéré dans les quelques garanties qu’on lui demande. La difficulté pour lui est de se prêter à une transaction dont il admet évidemment le principe, que son patriotisme ne désavoue pas, et de tenir tête en même temps à une opposition de jour en jour plus pressante, qui se fait un assez triste point d’honneur de représenter comme une sorte de trahison la moindre concession à des nécessités européennes dont la France se fait simplement la plénipotentiaire.

Le ministère s’est jusqu’ici assez péniblement tiré d’affaire en évitant