Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/713

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

embrouiller l’énigme. M. Jules Ferry semble constamment agir en homme qui a des velléités, des instincts de gouvernement, mais qui ne peut arriver à trouver son équilibre, à mettre de la sûreté, de la suite, de la cohésion dans sa politique. Ainsi, au début même de cette session qui vient de se rouvrir, le ministère a eu la bonne fortune de ce traité avec la Chine, qu’il s’est empressé de communiquer d’un ton un peu triomphal aux chambres. C’était effectivement un succès qu’il avait su préparer, dont il avait quelque raison de se prévaloir, et qui, en le fortifiant à l’intérieur, était aussi de nature à relever son autorité dans les autres affaires de diplomatie qu’il peut avoir à conduire. Il a un succès de bonne politique dont on lui sait gré, et aussitôt, d’un autre côté, il semble s’ingénier à perdre ses avantages par un système de tergiversations et de concessions dans ses rapports avec les partis, avec cette majorité qu’il ne garde qu’en la flattant. Au lieu d’aller droit à la difficulté, d’avoir une opinion nette et décidée sur cette loi prétendue démocratique de recrutement qui vient d’être reprise, qui menace de bouleverser l’ordre militaire aussi bien que l’ordre intellectuel en France, il louvoie, il pousse dans la mêlée un sous-secrétaire d’état avec un maigre amendement; il emploie toute sorte de subterfuges qui ne réussissent pas même à désarmer à demi le radicalisme. Au lieu de s’attacher fermement à cette stabilité dont il parle sans cesse, qu’il représente comme une condition de prospérité pour la république, il va de son propre mouvement, sans y être forcé, au-devant d’une révision qui ne répond à rien; il remet en doute ce qu’il veut affermir. Il donne l’exemple d’une inconsistance futile, et c’est ainsi qu’en gardant une certaine apparence de crédit et de force, il se crée une situation précaire et indécise. C’est ainsi qu’avec un succès de politique extérieure dont il a pu un moment tirer vanité, il s’expose à préparer une session peut-être agitée, probablement stérile, livrée aux conflits de partis, en restant lui-même à la merci des incidens et de l’imprévu.

De toutes les questions qui auraient pu être évitées, dont le ministère s’est plu à surcharger cette session nouvelle, celle de la révision constitutionnelle est, à vrai dire, la plus inutile, et M. le président du conseil, dans l’exposé des motifs soigneusement calculé qu’il a porté aux chambres, n’a point certes réussi à en déguiser l’inanité ou le danger. Les constitutions sont comme les honnêtes femmes : ce qu’il y a de mieux pour, les unes et pour les autres, c’est qu’on n’en par le pas. Où donc était la nécessité de parler d’une constitution qui existe depuis neuf ans, de livrer une fois de plus l’organisation publique à la passion de mobilité et de changement qui agite toujours les partis? Est-ce que cette constitution, telle qu’elle est, n’a point suffi à tout jusqu’ici? Est-ce qu’elle a suscité des conflits bien graves entre les pouvoirs publics ou des difficultés réelles et sérieuses dans l’administration