Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/708

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je sonderai le gouffre immense,
Et je saurai s’il est un point
Où la création commence,
Elle qui ne flaira point.

Aux cavernes les plus obscures,
Une torche en main j’entrerai,
Et je forcerai les serrures
Du mystère le mieux muré.

J’ouvrirai toutes les alcôves,
Je mêlerai mes noirs cheveux
Aux crins d’or des comètes fauves...


Ces trois derniers vers peuvent en même temps servir à préciser ce que l’imitateur ajoute de lui-même aux maîtres qu’il imite : une fâcheuse recherche de l’obscénité dans l’expression ; un grand contentement de soi, de toute sa personne, de ses « os fins, » de sa « peau jaune, » de ses « yeux de cuivre, » de son « torse d’écuyer ; » et la préoccupation enfin d’enchérir sur ce que les métaphores ou comparaisons d’un Victor Hugo ont déjà de naturellement énorme, gigantesque et, si je l’ose dire, d’assez souvent grotesque.

C’est qu’au fond, dans ces Blasphèmes, M. Richepin, s’il a le souffle, manque cependant de ce qui seul peut s’appeler inspiration. La différence est profonde et, dans une occasion plus favorable, vaudrait la peine d’être démontrée; contentons-nous aujourd’hui de l’indiquer. Donc on a le souffle dès que l’on a de vigoureux poumons logés à l’aise dans une vaste poitrine; mais l’inspiration dépend de quelque autre chose que de la capacité d’un viscère et de la solidité d’un tempérament. M. Richepin n’a du poète que le tempérament ; il n’en a ni la souplesse, ni la sensibilité, ni l’émotion, et encore moins la sympathie, je veux dire l’inappréciable don de vibrer à l’unisson des choses et d’en faire passer le frémissement dans son vers. Ces rares qualités, sans lesquelles il n’y a jamais eu de vrai poète, nous ne lui demandons pas de les acquérir, puisqu’elles ne sont pas dans sa nature; nous constatons seulement qu’il ne les a pas, et nous ajoutons conséquemment que, ne les ayant pas, il n’est qu’une moitié de poète. Il n’a pas non plus la couleur. Si ses vers sont monocordes, ils sont également monochromes, d’une monochromie qui ne comporte pas de valeurs et d’une monotonie qui n’admet point de nuances. Une seule couleur : du rouge; une seule note; le blasphème ; et c’est peut-être bien beau; mais le rouge est bien aveuglant, le blasphème bien assourdissant et, tous les deux ensemble, horriblement fatigans. Aussi, beaucoup plus qu’ils ne sont blasphématoires, les vers de M. Richepin seraient-ils ennuyeux, si, de temps en temps, par fortune, on n’y rencontrait de quoi rire, et si du naufrage de ses autres ambitions poétiques M. Richepin n’avait réussi, malgré tout, à sauver un certain sens du comique.