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des autres. Elle n’a joué qu’un rôle secondaire dans l’âge héroïque des découvertes maritimes; elle n’a pas déployé l’audacieux génie des Portugais, elle n’a produit ni un Vasco de Gama ni un Magellan. Dans le temps où Jacques Ier octroyait des privilèges aux colons de la Virginie et de la Nouvelle-Angleterre, nous fondions plus au nord nos deux établissemens de l’Acadie et du Canada. Plus tard, sous Charles II, quand William Penn créait la Pensylvanie, le Français La Salle, par une des prouesses les plus mémorables qu’ait enregistrées l’histoire des grandes explorations, reconnaissait toute la contrée qui s’étend des grands lacs aux sources du Mississipi ; il descendait ce fleuve jusqu’au golfe du Mexique et jetait les fondemens de notre colonie de la Louisiane. Comme le remarque M. Seeley, si la France a vu se déchirer son empire colonial, cela tient moins aux défaillances de son génie et de son caractère qu’à sa situation de puissance occidentale, qui l’obligea toujours de subordonner l’intérêt de ses possessions d’outre-mer aux nécessités de sa défense ou de sa politique européenne. Ce n’est pas sa faute si les destinées n’ont pas voulu qu’elle fût une île.

En ce qui concerne l’Inde, M. Seeley représente à l’école bombastique que la conquête en a été plus facile qu’il ne semble. L’Inde n’est pas un peuple, l’Inde n’est qu’une expression géographique, une agglomération de pays, de races et de royaumes. Pendant sept siècles avant l’arrivée des Anglais, elle avait été la proie des envahisseurs, et une succession de despotes étrangers lui avait appris à obéir. Baber, le chef de la dynastie mogole, n’était qu’un petit aventurier, qui, dépossédé de son royaume tartare par une invasion d’Osbegs, s’empara d’un autre petit royaume dans l’Afghanistan. Soixante-dix ans plus tard, l’empire qu’il avait fondé s’étendait sur la moitié de l’Inde. Après la chute du Grand-Mogol, l’immense péninsule se trouvait plongée dans un état de confusion et d’anarchie qui rendait aisées toutes les entreprises, favorisait toutes les audaces. Pour la subjuguer, il suffisait de découvrir que les armées recrutées par ses princes ne pouvaient tenir contre la discipline européenne, et que, d’autre part, il était très facile à un général européen d’enseigner cette discipline aux soldats indigènes et de les prendre à son service. Ces deux découvertes avaient été faites par Dupleix; les Anglais n’ont été que ses disciples. Sans contredit, les quatre grands gouverneurs qui ont donné l’Inde à l’Angleterre, lord Clive, Warren Hastings, lord Wellesley et lord Dalhousie, ont montré dans leur administration comme dans leurs conquêtes des talens peu communs. Mais il ne faut pas trop s’étonner que cent mille Anglais retiennent sous leur domination deux cent millions d’hommes profondément divisés par leurs jalousies de caste, par leurs haines religieuses, et qui ne connaissent d’autre sentiment national qu’un patriotisme de village. « Les nations, nous dit M. Seeley, ont les