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Quand les ambitions et les entreprises d’un peuple sont conformes à son génie naturel, ses passions, ses vices, ses fautes, tout concourt au succès. Si les derniers Stuarts avaient été plus sages, plus tolérans, une foule de leurs sujets n’aurait pas traversé l’océan pour aller chercher un lieu de repos et de liberté où leur conscience put respirer à l’aise. Si tel gouverneur anglais avait eu un peu plus de scrupules ou un peu moins de goût pour la rapine, des procès de murs mitoyens, que des arbitres eussent réglés en deux heures, n’auraient pas produit des guerres de conquête. Si le gouvernement britannique n’avait pas été entraîné par l’inquiétude de son humeur ou par ses animosités jalouses contre d’autres puissances à prendre parti dans des disputes de marchands où son intérêt n’était point engagé, vingt états n’eussent pas été bouleversés. Les déraisons de la haine venant en aide à la cupidité, des querelles de comptoirs ont enfanté des révolutions, et le grand empire de l’Inde est né dans l’ombre d’une arrière-boutique.

L’Angleterre, dans les dernières années de la reine Elisabeth, ne possédait aucun territoire hors d’Europe. Elle avait vu avorter ses premiers projets d’établissemens lointains ; elle était encore u la vieille île solitaire, le nid d’un cygne dans un grand étang. » Sous les deux premiers Stuarts, elle colonise la Virginie, la Nouvelle-Angleterre, le Maryland. Durant tout le XVIIe siècle, ta marine s’accroît, se perfectionne sans cesse, et les Hollandais ne peuvent balancer longtemps ses menaçans progrès. Cromwell avait pris la Jamaïque à l’Espagne, le Portugal laisse Bombay à Charles II, la Hollande lui cède New-York. Au siècle suivant, à travers les vicissitudes d’une nouvelle guerre de cent ans, cette hautaine dominatrice des mers nous dépouille pièce par pièce de notre empire colonial. Que ne possède-t-elle pas aujourd’hui ? À l’immense Canada, à quelques-unes des Antilles, à toutes ses dépendances de l’Afrique du Sud, elle a ajouté l’Australie, et à ces groupes d’états, qui lui sont unis par les liens d’une commune origine, par la religion, par le caractère comme par le sang, elle joint une souveraineté sans contrôle sur plus de 200 millions d’Hindous.

En matière de colonies plus qu’en toute autre chose, il est moins difficile de créer que de conserver. Pour s’emparer de vastes territoires, il a suffi à tel conquérant d’avoir beaucoup d’audace, aidée de quelque bonheur. Mais pour garder ses conquêtes, il faut joindre à l’intrépidité dans les desseins l’esprit de suite, la politique, l’art du gouvernement. Après les grandes découvertes des Christophe Colomb et des Vasco de Gama, toutes les nations européennes qui avaient une porte et une fenêtre ouvertes sur l’Océan ont conçu la pensée de s’approprier quelques-unes de ces terres nouvelles dont venait de s’enrichir le globe ; elles se sont toutes ruées sur leur proie, et le Portugal, l’Espagne, la France, la Hollande, aussi bien que l’Angleterre, se sont formé