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comme on parlait de l’encombrement des maîtres dans les universités et d’un prolétariat de savans qui semble s’y former, M. Virchow a rappelé que l’Allemagne a toujours eu « ce titre de gloire spécial de produire assez de maîtres pour faire occuper chez les nations voisines, et même dans les régions les plus éloignées, en Amérique, en Australie, des chaires par des sujets allemands. » Mais, a-t-il ajouté, « la politique allemande, en nous aliénant une nation après l’autre, en exposant de plus en plus à la haine le nom des Allemands, a eu pour effet de refroidir l’empressement de nos voisins à demander des savans à l’Allemagne. On ne veut plus avoir d’Allemands. La puissance de l’Allemagne pèse sur son exportation. La Russie était, il y a quelques années, sur presque toute son étendue, ouverte à cette exportation de savans, qui devient bien plus difficile. La Hollande, qui, pendant quelque temps, s’est fournie chez nous, ne veut plus d’Allemands. La Belgique, que nous pourvoyions autrefois, nous est fermée. » Et M. Virchow regrette ce bon temps d’autrefois, où l’on disait à ces émigrans : « Jeune homme, pars à l’étranger et sois le messager de la science allemande!.. » Il y a peut-être quelque exagération dans ce discours du député progressiste, et le ministre l’a contredit en citant quelques faits, car en Allemagne comme partout, à la statistique de l’opposition le gouvernement trouve à opposer une statistique officielle et bien pensante; mais M. de Gossler n’a réfuté que très imparfaitement les dires de M. Virchow et nous pourrions démontrer que, pour quelques pays au moins, celui-ci a raison. Dès lors, pourquoi n’aurions-nous pas l’ambition d’occuper un jour ces places restées vides?

Certes, l’ambition serait aujourd’hui prématurée; nous ne pouvons, à l’heure qu’il est, satisfaire nos besoins les plus pressans. Nombre de nos chaires sont mal occupées, et des enseignemens, sans lesquels il n’y aurait pas d’universités complètes, ne sont pas même représentés par des maîtres; mais il faut bien qu’on sache que la jeunesse française est disposée au travail. Les cadres de nos facultés se remplissent de jeunes maîtres desquels nous concevons de belles espérances ; il se manifeste un empressement extraordinaire à conquérir le titre scientifique du doctorat, et la faculté des lettres de Paris fera cette année près de trente docteurs ; depuis le 1er janvier 1883, elle a inscrit soixante et un sujets de thèses doctorales. Des publications comme celles des écoles d’Athènes et de Rome sont de nature à relever notre renommée scientifique; des facultés de province publient des recueils dont l’autorité s’établit; nous voyons enfin les étudians de nos facultés se préoccuper déjà de leur travail futur et manifester l’ambition de s’honorer par des études personnelles. Ce n’est donc point céder à