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temps modernes, la guerre d’Amérique, et la dernière, la guerre d’Italie. Nous seuls avons eu cette prétention naïve de combattre, de vaincre, de conquérir moins encore pour la glorification de la France que pour le triomphe de certaines idées. C’est pourquoi nous sommes incapables d’instituer l’enseignement d’un patriotisme qui soit le culte de nous-mêmes et la haine ou le mépris de l’étranger. Sans doute ce sera un devoir pour nos universités d’instituer et de poursuivre, en province comme à Paris, une enquête sur nos origines, notre race, notre langue, notre littérature, nos institutions, nos actions, notre rôle dans le monde, de façon que les esprits éclairés puissent concevoir la synthèse de la France et que les professeurs d’histoire soient mis en état de donner à l’enfance et à la jeunesse autre chose que ces froides et sèches notions qu’on leur distribue aujourd’hui sous le nom d’histoire de France. Par là les universités seront des écoles de patriotisme, mais elles auront bien d’autres façons de servir la patrie française.

Elles serviront la patrie française par cela même qu’elles accroîtront l’activité scientifique de la France. Dans cette discussion du budget de l’instruction publique en Prusse à laquelle il a été fait allusion tout à l’heure, M. Virchow a prononcé de curieuses paroles. Au chapitre de l’enseignement secondaire, il a demandé que l’on renonçât à enseigner dans, les écoles l’écriture allemande et qu’on y substituât l’écriture latine. Il ne faut point que nous maintenions, a-t-il dit, « une forme d’écriture qui rend difficile aux peuples étrangers les rapports étroits avec nous. Dans la littérature scientifique, nous avons depuis longtemps dû sacrifier l’écriture allemande, parce que nous avons un grand intérêt à nous rendre aisément intelligibles à nos collègues des autres nations. C’est beaucoup déjà d’exiger qu’ils apprennent l’allemand, mais vouloir qu’ils le lisent écrit en caractères allemands, c’est trop leur demander. » Paroles à méditer, car elles expriment cette vérité que les travailleurs ne peuvent se passer avec sécurité de la langue allemande ; aussi l’apprenons-nous comme on l’apprend dans toute l’Europe, et l’universalité de la langue française est menacée : c’est chose naturelle que les peuples apprennent la langue du peuple qui a le plus à enseigner aux autres. Mais n’est-ce point une parole plus dure à entendre que celle d’un politique enorgueilli par la victoire, celle de ce vieux savant, qui, sans phrases, tout naturellement, proclame que nous sommes les tributaires de l’Allemagne et propose charitablement que l’on nous facilite les moyens d’acquitter le tribut? On ne saurait mieux dire qu’un peuple occupe dans le monde une place proportionnée à la richesse de sa production scientifique. Enrichir la science française, ce sera donc agrandir la France.

Dans la même discussion, au chapitre de l’enseignement supérieur,