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en est un autre ; à cette force ils prêtent je ne sais quelle grâce farouche, aux guerres où elle se déploie une vertu propre, comme si, lorsqu’ils font la guerre, ils remplissaient par délégation divine un sacerdoce. Tous les grands faits de la civilisation générale sont revendiqués par les Allemands comme leur bien propre; le christianisme avait eu ses martyrs et ses grand docteurs avant que la politique de Clovis et les terribles guerres des Carolingiens l’imposassent aux Francs et aux Allemands; il aurait, sans l’invasion des barbares, produit nos grands chrétiens de France et d’Italie; mais c’est chose convenue en Allemagne qu’il n’a été bien compris que par les Allemands et que Jésus de Nazareth s’est révélé, non sur le Thabor, mais dans les montagnes de la Thuringe. Les conceptions philosophiques les plus générales sont appliquées tout de suite par les Allemands à la glorification de l’Allemagne : l’universel esprit des hégéliens eut à peine apparu que les disciples d’Hegel l’incorporèrent comme une recrue dans l’état prussien. Enfin nous entendons dire, nous qui avons bien eu quelque mérite, chèrement payé, à faire la révolution française, qu’il est réservé aux Allemands de révéler au monde la révolution. Heine n’a-t-il pas prédit que l’Allemagne enseignerait aux deux nations régicides, l’Angleterre et la France, la vraie manière de couper la tête d’un souverain? Ce peuple, si content de lui, n’aime pas l’étranger et n’a pas souci d’en être aimé. C’est pour cela qu’il prêche à ses enfans dans la famille, à l’école, à l’université l’amour et l’admiration de lui-même ; c’est pour cela qu’il y a une philologie, même une théologie allemande; et que les savans d’outre-Rhin ont une façon particulière de prononcer les mots deutsche Wissenschaft. Ils disent: la science allemande comme on dit: mon pays, mon domaine, ma propriété. Notre France a eu des destinées toutes différentes; elle a un tout autre génie. Nous étions de l’empire romain lorsqu’il a été détruit, et nous nous étions approprié la civilisation ancienne, qui est demeurée la civilisation humaine, après qu’elle a reçu du christianisme les vertus qui l’ont achevée. Cette civilisation, nous avons été des premiers à la retrouver et à la remettre en honneur au sortir de la période toute germanique du moyen âge. La faculté que nous avons de nous assimiler ainsi ce qu’on peut appeler les idées et les mœurs générales n’a point permis que nous missions notre orgueil à ne pas ressembler aux autres et à nous déclarer inimitables : il nous a toujours plu d’imiter et d’être imités. Si la vertu nationale allemande est la force, la nôtre est la sympathie. Nous avons eu sans doute nos guerres d’ambition et les victoires de nos rois nous ont réjouis, mais nous n’hésitons pas à flétrir les excès et les violences que quelques-uns d’entre eux ont commis. Nos véritables guerres sont des guerres d’enthousiasme, dont la première a été, dans les