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pour rôle à l’université le développement de l’esprit philosophique, de lui interdire le « particulier, » sa tâche étant de « faire ressortir d’une façon saisissable l’esprit du tout et de tracer l’image la plus complète et la plus frappante de son étendue et de la cohésion de ses élémens. » Ce caractère imprimé alors aux universités n’a point disparu ; il leur donne ce magnifique aspect qui a surpris et charmé le père Didon, et qui n’est point, nous le dirons tout à l’heure, une vaine apparence. Mais, depuis le commencement du siècle, une révolution s’est accomplie dans les idées et dans les choses ; l’enthousiasme a faibli ; l’esprit philosophique a perdu de sa vigueur ; la science, se défiant des théories générales, a prétendu se suffire à elle-même ; elle s’est mise à la recherche des faits sans se soucier de la doctrine. Puis l’activité de la vie matérielle a été centuplée : le banquier, l’ingénieur, le chimiste, gens qui ne sont philosophes que par accident, sont entrés en scène ; la politique qui a donné à l’Allemagne la grandeur a, par son éclat, attiré les esprits ; celle qui s’efforce de lui donner la liberté commence à la diviser. Après le règne de la théorie et de la lumière est venu celui de la pratique et de l’action : M. de Bismarck a succédé à Humboldt et à Stein ; le professeur philosophe, l’étudiant philosophe, l’amant désintéressé de la pure science sont devenus de rares personnages. Il est vrai que les universités étant toujours là, florissantes et renommées, on n’a pas songé à leur enlever la clientèle de la jeunesse ; l’état n’a point fait concurrence à ces vieux instituts en créant des écoles professionnelles ; il s’est contenté de mettre à l’entrée des carrières publiques des examens où il est le juge. Il s’est fait alors un compromis entre la théorie et la pratique, entre l’idéal et le réel : le plus grand nombre des jeunes gens recherchent dans l’enseignement ce qui peut être utile pour les examens d’état, mais l’université continue d’enseigner comme elle estime que cela est utile pour la science. C’est pourquoi les universités ne sont, au juste, ni comme les dépeignent leurs détracteurs, ni comme le père Didon les a vues. Elles méritent et les éloges qu’on leur adresse et les critiques qu’on leur fait, et il est naturel que les uns les considèrent comme de grands instituts scientifiques, les autres comme un composé d’écoles spéciales. Il fallait bien interroger l’histoire pour expliquer cette contradiction.

Plus encore que l’organisation de l’enseignement, la vie des étudians a étonné le père Didon ; des scènes qu’il a vues ont troublé son âme de patriote ; ceux qui en ont vu de semblables ont été troublés comme lui, et, dans son émotion, reconnaissent la leur. C’est, en effet, avec une angoisse patriotique que l’on assiste à de certaines manifestations dans les villes universitaires. Cette jeunesse libre qui se discipline elle-même ; cette foule qui, sans effort, se