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leur empereur pendant des siècles les plus beaux honneurs dont un prince ait jamais été paré ; ils le proclamaient chef du saint-empire, monarque universel, source de tout droit et de toute justice ; dans la pratique, ils lui marchandaient hommes et deniers, et le budget de l’empire ne suffisait pas pour habiller et nourrir l’empereur. Ne se peut-il pas que la science universelle soit honorée ainsi que le monarque universel l’était autrefois, sans que cette vénération empêche ceux qui la professent de vaquer à leurs affaires ? On croirait qu’il en est ainsi à lire les jugemens que des Allemands portent sur les universités. Un homme qui a joué un grand rôle pendant sa vie et qui vient de faire beaucoup de bruit après sa mort, le député Lasker, écrivait en 1874 :

« L’université se démembre en écoles spéciales, les spécialités mêmes se morcèlent. L’étudiant devient un écolier, et, depuis que les leçons obligatoires sont abolies, il s’accorde tacitement avec son professeur sur un maigre programme de cours généraux indispensables pour les examens. Il ne veut pas être tiré en plusieurs sens et, par crainte d’éparpiller son travail dont la matière grossit sans cesse, il s’attache étroitement aux cours directement pratiques. Quiconque n’étudie pas les sciences naturelles quitte l’université sans une idée des découvertes les plus importantes des naturalistes. Les principes élémentaires d’économie politique, de littérature, d’histoire sont, à un degré effrayant, étrangers à la plupart de ceux que leurs études spéciales n’y ont pas amenés. Les salles de conférences sont à côté les unes des autres ; les instituts appartiennent à un ensemble ; les professeurs sont encore liés par les facultés et le sénat, le personnel par des statuts et une organisation extérieure ; mais le lien intellectuel fait défaut ; les rapports personnels se relâchent, et les étudians se séparent, comme si l’université était déjà divisée en un système d’écoles spéciales entièrement distinctes[1]. »

Un autre écrivain, qui a gardé l’anonyme, mais que l’on sait être un professeur d’une des grandes universités de l’Allemagne, confirme en termes pittoresques l’opinion de Lasker. D’après lui, les étudians ne se mêlent pas au pied des chaires professorales autant que le père Didon le veut bien croire, et chaque faculté a son auditoire distinct. Entrez dans un auditoire où le gentleman domine, vous êtes à la faculté de droit. Voyez, dans cette autre salle, « une réunion étrangement mêlée de têtes de mouton et de quelques figures à caractère, » vous êtes chez des théologiens. Dans une troisième salle, « les lunettes trônent sur le nez de la plupart des assistans ; la coupe des cheveux varie entre la coiffure à la brebis et les boucles à la Raphaël ; on n’a pas ici l’ambition de précéder la

  1. Deutsche Rundschau, 1874.