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puisque les uns ruinent sa santé aux dépens de sa bourse et que les autres bouleversent ses idées. Je constate seulement le fait ; car il se peut, après tout, que l’opium et les religions nouvelles soient des progrès irrésistibles. Le lecteur impartial appréciera.

Les étrangers qui débarquent en Chine n’ont qu’un but : la spéculation ; et, ce qui est infiniment curieux, tous ces étrangers spéculateurs nous méprisent, parce que nous sommes défians. N’est-ce pas là une observation qui vaut son pesant d’or ? Défians ! vraiment, il n’y a pas de quoi ! Notre ennemi, dit le fabuliste universel, c’est notre maître ; mais c’est aussi celui qui en veut à notre bourse, sous prétexte de civilisation. Défians ! Mais nous ne le serons jamais assez !

Nous sommes obligés de confondre dans notre esprit tous les peuples et tous les individus et de les appeler d’un même nom : les étrangers. Mais je tiens à affirmer que nous savons distinguer les bons des mauvais, car il est des étrangers qui honorent leur nationalité par le respect qu’ils témoignent pour nos institutions. Je veux parler des diplomates qui nous séduisent par leur distinction et qui accomplissent des tâches souvent délicates avec une courtoisie et un tact qui font le meilleur éloge de leur civilisation ; je veux parler aussi des érudits qui viennent étudier nos langues et puiser dans nos livres les enseignemens que la plus antique des sociétés humaines nous a donnés. Ceux-là ne sont pas pour nous des étrangers, mais des amis avec lesquels nous sommes fiers d’échanger nos pensées, et nous rêvons quelquefois de progrès et de civilisation avec ces fils légitimes de l’humanité, qui n’ont rien de commun avec les charlatans qui abordent sur nos rivages.

En terminant cette revue de l’opinion sur des sujets divers, je ne puis m’empêcher de parler des missionnaires et de l’état de l’opinion à leur égard. J’avais l’intention de dire toute ma pensée et d’exprimer, à côté du bien qu’on dit, le mal qu’on ne dit pas. Mais j’aurais craint de paraître passionné, et je me suis engagé, en écrivant ces impressions, à ne rien dire qui pût laisser supposer que je ne sais pas respecter la liberté de penser. Heureusement, j’ai trouvé, dans une des publications de la société des élèves de l’École libre des sciences politiques, école dont j’ai eu l’honneur d’être un des élèves, un travail de M. de La Vernède, et j’y ai lu ce que je n’osais pas moi-même dire de peur de n’être pas suffisamment écouté. Voici, en effet, ce que je lis dans cette note[1] : « Il y a trois siècles, les écrits des missionnaires donnaient une description enthousiaste de la Chine. Chacun, disaient-ils, est heu-

  1. Annuaire, exercice 1875-76.