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petit cadre. Et ce sont des cadavres de marque; ils portent tous la pourpre cardinalice. Le pape Urbain VI regarde avec complaisance ces prélats étendus au fond d’un in pace, où il semble que le jour est bien clair pour un pareil endroit. Dans le Massacre de Béziers, M. Sylvestre a voulu donner aux personnages un mouvement furieux; il en résulte qu’aucune des figure n’est en équilibre. Les meurtriers chancellent comme les victimes. M. Jacquet a peint une scène moins dramatique: une Pavane, qu’il qualifie dans le livret de Danse solennelle ; — solennelle, en effet, surtout quand elle est dansée par des bonshommes de bois.

M. François Flameng s’est fait, comme on sait, le peintre assermenté des scènes de la révolution. S’il sort de la constituante, c’est pour entrer dans la législative ou dans la convention. Il nous mène aujourd’hui au milieu de la Vendée, à Machecoul, le 10 mars 1793. Au pied du vieux château, gisent les cadavres des républicains fusillés par les royalistes. Une jeune fille, le sein découvert et percé d’une balle, est tombée en avant des autres victimes; sa jupe, qui s’est relevée dans sa chute, laisse voir le bas de la jambe et le pied grossièrement chaussé. Près d’elle, un vieillard, nu jusqu’à la ceinture et tout souillé de sang, achève de mourir attaché à un arbre ; c’est le curé constitutionnel de Machecoul, longtemps martyrisé par les Vendéennes. Le spectacle est curieux; aussi M. de Charette a-t-il amené de sa gentilhommière de Fonteclose trois jeunes femmes, marquises ou comtesses, à en juger par la grâce mutine de leur type et l’élégance de leur ajustement, afin de leur faire voir la comédie. Comme disait Perrin Dandin, en parlant de la question, « cela fait toujours passer une heure ou deux. » Ces trois jolies aristocrates sont de l’avis du bon juge. Elles paraissent s’intéresser extrêmement à l’horrible spectacle, sans en être autrement émues. L’une d’elles, à la vérité, détourne un peu la tête, mais la seconde s’approche de tout près, pour mieux voir, relevant coquettement sa robe de peur de la tacher dans le sang; et la troisième, le corps penché en avant, les jambes infléchies, les deux mains posées sur les genoux, a l’attitude convenue des gens qui s’étouffent de rire. Vêtu du costume semi-militaire et semi-campagnard des chefs vendéens, Charette, qu’on reconnaît à son grand nez, à ses lèvres minces, à son menton énergiquement dessiné, se tient au milieu des femmes, gardant une impassibilité absolue. A côté de lui, un garde-chasse conduit un chien en laisse. On aperçoit plus loin les blancs, le bissac à l’épaule et le fusil à la main, et au fond les huttes en flammes des patriotes égorgés.

D’où vient que cette scène, vraiment odieuse, ne produit pas l’impression dramatique cherchée par le peintre? C’est parce que M. Flameng a voulu forcer l’effet ; il l’a manqué en le dépassant. A voir