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le vêtement, on ne restait pas inactif autour du foyer. Les femmes, ou plutôt les femelles, allaitaient leurs petits, entretenaient le feu, réparaient les filets de pêche, et le vieillard s’occupait à emmancher ces haches de pierre d’un effet si redoutable. Près de la hutte, qui s’appuie au flanc d’une colline boisée, un arbre gigantesque étend sa sombre frondaison sur le ciel balayé de grands nuages noirs. Les chairs brunes ou fauves, les accoutremens de peaux de bêtes, le feuillage, les terrains, le ciel, tout est tenu dans une gamme foncée d’une couleur forte et vigoureuse. Hormis deux femmes blondes, qui sont d’un caractère tout moderne, les figures sont bien conformes à l’idée qu’on se fait du type rudimentaire des races primitives. Avec leurs fronts bas, leurs faces larges, leurs nez écrasés, leur mâchoire proéminente, avec leurs physionomies farouches et bestiales, avec leur stature massive, leur cou enfoncé dans les épaules, leurs membres épais, leurs grosses attaches, leurs mains et leurs pieds énormes, ces êtres paraissent encore plus près de l’animalité que de l’humanité. L’action s’accorde avec les types. Ces tueurs d’ours ont les gestes gauches, la démarche lourde, le balancement du gorille. A l’avidité que l’un montre en buvant à un vase d’argile, on sent la violence des appétits; à la façon dont un autre panse son bras blessé, on sent le mépris de la douleur; à l’air triomphant du chef de la bande qui montre la bête abattue, on sent l’orgueil de la force. La beauté, l’élégance, la grâce ne sauraient nécessairement se trouver dans un tableau d’une anthropologie aussi accusée. La grandeur même y fait défaut, car la grandeur ne va point sans le style et sans un certain idéal dans la forme. Cette scène frappe par son étrangeté et par la vigueur et la tenue de l’exécution; elle ne donne point une impression esthétique. La Chasse à l’ours est toutefois une œuvre puissante et originale, très supérieure, selon nous, à la Mort de Ravanah, qui mérita le prix du Salon à M. Cormon, et à la Fuite de Caïn, qui lui valut, peut-être prématurément, les honneurs du Luxembourg. Dans la Mort de Ravanah, l’inspiration du Massacre de Scia était trop visible, et le grotesque se mêlait à l’épique dans la Fuite de Caïn.

M. Maxime Faivre nous montre, lui aussi, un épisode de l’âge de la pierre : la lutte pour la femme. Un homme a aperçu une jeune femme couchée devant l’ouverture d’une grotte qui se creuse dans le flanc de la montagne. Il s’agit pour lui d’avoir le gîte et celle qui l’habite. Mais le mâle de cette femelle est là, prêt à défendre son bien, et une lutte sauvage, sans autre issue que la mort pour le vaincu, s’engage entre les deux hommes. L’envahisseur, qui a étreint son adversaire, cherche à l’étouffer et le mord à la poitrine, tandis que celui-ci, les deux bras levés, va le frapper