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petite-fille la duchesse de Mazarin. Priez Dieu, maman, pour la prospérité de mes armes et pour ma gloire personnelle. J’emporte à l’armée toute la bonne volonté possible. Que le Dieu des armées m’éclaire, me soutienne et bénisse mes bonnes intentions. Adieu, maman ; j’espère vous retrouver en aussi bonne santé que je vous laisse, et je vous embrasse du fond du cœur. »

Le départ eut enfin lieu le 4 mai. Ce fut une scène froide et solennelle, étrangement mêlée de sentimens naturels et factices, d’étiquette et de dévotion : « Le roi, dit Luynes, soupa au grand couvert, hier, comme à l’ordinaire ; il y avait un monde prodigieux. Il ne fut nullement question du voyage pendant tout le souper ni après. Il entra chez la reine au sortir de table, comme à l’ordinaire, fit un petit quart d’heure de conversation indifférente et sortit de chez elle sans rien lui dire. Mme de Luynes le reconduisit et lui dit qu’elle faisait bien des vœux pour sa santé et pour sa gloire. Il rentra chez lui et donna l’ordre pour se coucher à une heure et demie… Après être rentré chez lui, il envoya quérir M. le dauphin et lui parla en présence de M. de Chantillon (son gouverneur) avec beaucoup de tendresse. Il n’envoya point avertir Mesdames, mais il écrivit une lettre à Madame (l’aînée des princesses) qu’elle a reçue ce matin. Il lui mande qu’il avait été tenté de les envoyer quérir, mais qu’il n’avait pu s’y résoudre, craignant un attendrissement réciproque, que pour les consoler il leur donnait deux dames de plus ; qu’il écrirait alternativement à M. le dauphin, à Madame, à Madame Adélaïde, qu’il désirait fort recevoir de leurs nouvelles. » A une heure et demie, il vint dans sa chambre comme pour se coucher, mais il ne fit que changer d’habit. Lorsqu’il entra dans son cabinet, M. l’évêque de Soissons (son aumônier) y était ; il fit la conversation avec lui pendant quelque temps et sortit ensuite dans la galerie, d’où il alla avec M. de Soissons dans la chapelle (dans sa tribune) sans qu’il y eût personne d’averti pour le suivre ; il fut un petit quart d’heure à faire sa prière, après quoi il revint chez lui. Son carrosse était dans la cour, au pied de la cour de marbre, comme à l’ordinaire ; il y monta avec M. le Premier, M. le duc d’Ayen et M. de Meuse. Il est allé entendre la messe à La Muette, d’où il doit aller coucher à Péronne[1]. »


Duc DE BROGLIE.

  1. Mémoires du duc de Luynes, t. V, p. 412-413.