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ses mouvemens, la résolution de Louis XV, cette fois encore, entraînait la sienne. Ce qu’il avait toujours craint, n’était-ce pas que la France, se contentant de faire ses propres affaires dans les Pays-Bas, ne lui laissât porter à lui seul le poids de la guerre en Allemagne ? Ce qu’il avait toujours réclamé, n’était-ce pas que le gros de l’armée française fût porté vers la frontière allemande, de manière à être entraîné à la franchir à un jour donné pour la suite des opérations militaires ? Mais que cette armée arrivât là où il la désirait, commandée par le roi lui-même, c’était un idéal que, dans ses vœux les plus ambitieux, il n’avait jamais rêvé. Il obtenait ainsi au centuple le gage qu’il avait toujours demandé de l’énergie et de la fidélité de la France. Ce n’était pas, en réalité, Frédéric qui allait à Louis XV, c’était Louis XV qui venait à Frédéric.

Aussi son parti fut pris sur-le-champ, et quand Podewils, qui ne s’attendait à rien de pareil, qui ne connaissait pas même le texte du traité français, essaya quelques objections embarrassées, jamais l’infortuné conseiller n’avait été si malmené. « Êtes-vous sûr, disait le timide ministre, de la sincérité de la France et de la fermeté de la Russie ? Et si l’un ou l’autre vous manque. Votre Majesté peut s’embourber tellement qu’il pourrait lui en coûter même ses états héréditaires. Pour sauver l’empereur qui se noie, faut-il vous mettre à l’eau vous-même ? » Le roi ne lui répondit qu’en lui remettant le projet de manifeste qui devait précéder son entrée en Bohême, et en lui enjoignant de le tenir prêt pour l’impression. « C’était un de ces cas, dit-il dans l’Histoire de mon temps, où il faut savoir se décider, et où le parti le plus dangereux qu’on peut prendre est de n’en prendre aucun[1]. »

Mais en faisant connaître à Louis XV et au maréchal de Noailles cette résolution décisive, de combien de flatteries adroites à l’adresse du souverain et du ministre, de combien d’excitations ardentes à une action immédiate et énergique il a soin de l’accompagner : « Je bénis mille fois le roi votre maître, écrivait-il à Noailles, de la résolution qu’il a prise de se mettre à la tête de ses troupes… Plus il mettra de vigueur et de nerf dans ses opérations, et plutôt ses alliés seront obligés de chanter la palinodie. Les Hollandais me reviennent comme les grenouilles de la fable : ils avaient une bûche pour roi durant le ministère du cardinal, ils ont assez importuné les dieux pour qu’ils méritent d’avoir une cigogne… S’il n’avait tenu qu’à moi, vous auriez pris vingt villes dans cette campagne et gagné trois batailles. » — Et à Louis XV : « Monsieur mon frère. Votre Majesté agréera les félicitations que je lui fais du fond du cœur. Vous surpasserez dans peu la réputation de votre aïeul, et l’Europe

  1. Droysen, t. II, p. 291, 292.