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décision, qui a voulu aller sur le Rhin, et quand il en a parlé au maréchal de Noailles pour la première fois, il lui a dit qu’il n’avait qu’à faire ce qu’il fallait pour exécuter son dessein, mais que son parti était pris. Le maréchal de Noailles en fut d’abord un peu fâché, tant parce que le roi avait pris cette résolution sans le consulter, que pour conserver ici, en y restant, la grande faveur qu’il y a, aussi bien que sa supériorité dans les opérations militaires et pour ne pas se mettre en contrariété de conseils et d’idées avec les maréchaux de Coigny et de Belle-Isle, qui voudront chacun se faire valoir tant qu’ils pourront, principalement le dernier, qui brûle d’impatience de remonter sur sa bête, et qui est le seul qui puisse tenir tête au maréchal de Noailles ; aussi ce dernier devient-il jaloux facilement pour peu qu’il s’aperçoive que le premier est consulté[1]. »

Si ces mauvais sentimens traversèrent un instant l’esprit de Noailles, on lui doit la justice de dire qu’il n’en laissa rien percer dans l’action, et qu’ils s’effacèrent rapidement de son âme : car, envoyé sur-le-champ, en avant, à Metz, pour préparer l’arrivée du roi, de concert avec Belle-Isle (qui y commandait), il rendit tout de suite et avec effusion hommage à l’excellence des mesures que, dans ces premiers momens de trouble, son collègue avait déjà prises, pour courir au plus pressé et arrêter à tout risque les progrès de l’invasion. « Je dois justice, écrivait-il, à M. le maréchal de Belle-Isle, et je serais bien fâché de ne pas la rendre à qui elle est due : il n’a négligé aucune des dispositions qu’on pouvait faire... Je n’entrerai point, ajoutait-il pourtant (en se hâtant de reprendre le ton de supériorité qui convenait à un commandant supérieur) dans des détails, qui, pour le moment, peuvent rouler principalement sur MM. les maréchaux de Coigny et de Belle-Isle, car ils en rendent compte eux-mêmes directement et ce serait fatiguer Votre Majesté par d’inutiles répétitions. Mon intention, sire, si Votre Majesté l’approuve comme je l’en supplie, est de laisser en général à leurs soins tous les détails, ce qui ne pourra que contribuer à entretenir la paix et l’union si nécessaires au bien de son service et me donner en même temps plus de liberté et de facilité pour ne m’occuper que de l’objet général et avoir par là le temps de réfléchir avec plus de naturel[2]. »

Noailles avait d’autant plus de mérite à faire valoir les services de ses rivaux, qu’il trouvait la situation plus mauvaise encore qu’on ne la lui avait dépeinte. Par l’ordre de Belle-Isle, quelques bataillons, confiés au duc d’Harcourt, avaient bien été immédiatement dirigés sur les défilés des Vosges pour en défendre l’entrée et tendre la

  1. Chambrier à Frédéric, 23 juillet 1744.
  2. Le maréchal de Noailles au roi, 29 juillet 1744. — Rousset, t. II, p. 147-148.