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exprès auprès des deux évêques pour vérifier les bruits qui circulaient, n’obtint pas en réponse à ses interrogations directement posées des assurances moins positives. — « Est-il vrai, dit-il à l’évêque de Cologne (propre frère, on se le rappelle, de l’empereur), que vous ayez traité avec le roi de la Grande-Bretagne? — C’est faux, dit l’électeur. — Parlons franchement, dit en souriant Blondel, ne serait-ce pas avec l’électeur de Hanovre? — Pas davantage. » — Mais Blondel dut remarquer que ces réponses étaient faites d’une bouche pincée et d’un ton sec et dur qui ne présageait rien de bon.

A Mayence, mêmes protestations et plus explicites encore de la part du prélat, même méfiance de la part du diplomate. Blondel ayant cru remarquer un mouvement inusité dans la ville, une artillerie plus forte et plus nombreuse que d’ordinaire sur les remparts, des provisions plus abondantes dans les magasins que n’en exigeait l’effectif des troupes épiscopales, en un mot, tous les signes de l’attente et de l’arrivée prochaine d’une force étrangère, exprima à l’archevêque ses soupçons. — «-Pour qui me prenez-vous? dit celui-ci; il faudrait que la tête m’eût tourné pour vouloir, dans la faiblesse où je suis, faire le don Quichotte, contre mon devoir envers l’empereur, l’impératrice et mon électorat... Si vous trouvez dans ma ville des magasins autres que ce qui est indispensable pour la subsistance de ma cour, je vous les donne. Voilà le vrai sur ma parole de prince, de prêtre, d’archevêque et d’électeur. Je ne tolérerai le passage du Rhin ni au-dessus, ni au-dessous de Mayence. » — Ce qui n’empêcha pas que, le 2 juillet, le prince Charles de Lorraine faisait jeter un pont à Wassenau, sous le canon même de la ville, employant à ce travail des charpentiers et des bateliers du port, sans que l’évêque, qui prétendait avoir tout ignoré, essayât aucune résistance. — « Des représentations tant que vous voudrez, dit-il à Blondel, mais pour des hostilités, je suis votre serviteur[1]. »

L’opération du passage du fleuve, tentée en même temps par un autre corps autrichien en amont de Mannheim n’ayant, comme on peut le voir, rien de tout à fait imprévu et n’ayant pas duré moins de trois jours à accomplir, rien n’eût été si aisé, si les précautions eussent été bien prises, que de s’y opposer, et de la faire même tourner au grand dommage de ceux qui l’entreprenaient. Mais, par une disposition fâcheuse, Coigny avait confié la garde des points les plus voisins du Rhin à l’armée impériale commandée par le général de Charles VII, le maréchal de Seckendorff, tandis qu’il se réservait à lui-même la défense de l’entrée de l’Alsace. Seckendorff, pauvre

  1. Correspondance de Trêves, 11 juin, 12 août. — Correspondance de Cologne, 10 juin. — Correspondance de Mayence, 29 mai, 2 juillet 1744 et passim. (Ministère des affaires étrangères.) — Droysen, t. II, p. 287.