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première et malheureuse épreuve, appelé l’étranger dans sa patrie, constitue bien un grief de quelque gravité et une tache dont sa mémoire a grand besoin d’être lavée. Si la première faute peut être mise sur le compte de l’ardeur irréfléchie d’une ambition naissante, la récidive commise de sang-froid dans la maturité de l’âge et la plénitude de la gloire est plus difficile à justifier. De là un conflit sans cesse renouvelé entre les champions posthumes de Marie-Thérèse et de Frédéric, débat qui se poursuit encore sous nos yeux, après plus d’un siècle écoulé, avec la vivacité des premiers jours. C’est comme un champ de bataille historique sur lequel Autriche et Prusse se rencontrent avec des ressentimens patriotiques aussi vivaces qu’hier encore dans les plaines de Sadowa. Il n’est pas jusqu’aux sages écrivains qui me servent de guides dans ces récits, MM. d’Arneth et Droysen, qui, parvenus à ce point de leur narration, n’échangent à mots couverts des récriminations passionnées. M. d’Arneth, écrivant avant nos malheurs, a le plus beau thème et le plus facile. C’est à ses yeux le crime de Frédéric d’avoir arrêté par une préoccupation égoïste le bras de Marie-Thérèse déjà levé pour rendre à la couronne de Charlemagne les fleurons que lui avait dérobés l’ambition française. M. Droysen relevant le gant dix ans plus tard, quand ce méfait, si c’en est un, n’avait été que trop complètement réparé, éprouve pourtant encore quelque embarras à défendre son client. Il sent le besoin d’énumérer tous les motifs qui ont pu faire croire à Frédéric qu’il était mis en défense légitime, et en droit de préserver à tout prix le fruit encore mal assuré de sa première victoire. La faute est donc à Marie-Thérèse d’avoir poursuivi obstinément des revendications stériles et laissé échapper ainsi la magnifique compensation qu’elle aurait pu s’approprier sur le Rhin aux applaudissemens de toute l’Allemagne. D’autres écrivains enfin, plus libres d’esprit et jugeant de plus haut, n’hésitent pas à considérer l’appel fait par Frédéric à la France à cette heure critique comme un des incidens passagers du grand duel qui commençait ce jour-là entre deux puissances entre qui le partage était impossible ; combat singulier dont en définitive l’unité allemande a été le glorieux résultat. C’est une de ces feintes retraites, une de ces marches en arrière, qui, dans un jour de bataille, peuvent être rendues nécessaires par les accidens de terrain, et qu’on n’a pas le droit de reprocher au vainqueur quand, en définitive, il a su assurer par là le succès de la journée[1].

Nous laisserons, si le lecteur le permet, les patriotes allemands vider entre eux ce débat dont le spectacle est pour nous plus douloureux qu’intéressant. Je me bornerai seulement à faire remarquer

  1. Droysen, t. II, p. 297 et suiv. — D’Arneth, t. II, p. 399 et suiv.