Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/504

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quatre jours après, le 9 du même mois, pendant qu’on se préparait au siège d’Ypres et que tout promettait un succès égal, le traité d’union des princes allemands, rédigé par Chavigny, recevait à Francfort une consécration définitive. Là aussi, Frédéric retirait l’une après l’autre toutes ses exigences, à mesure qu’il voyait l’action de la France plus résolument engagée. Sur ce théâtre pourtant, où il sentait les yeux de toute l’Allemagne fixés sur lui, les accommodemens et les concessions semblaient lui coûter davantage. Son orgueil résista même longtemps à la pensée d’admettre la France, à titre de partie contractante, dans la fédération nouvelle, et il ne se rendit qu’à la dernière heure aux instances et à l’ultimatum impérieux de Chavigny. Il convient lui-même dans sa correspondance que, s’il se laissa fléchir, ce fut parce qu’on lui avait dit que cet agent français si habile et qui prenait le ton si haut allait être appelé à la place d’Amelot au ministère des affaires étrangères et diriger ainsi toute l’action politique d’un allié désormais indispensable. Encore, pour ménager les susceptibilités germaniques, fut-il convenu que le nom de la France ne serait pas prononcé dans les stipulations mêmes du traité, et que Louis XV serait seulement invité par un article séparé et secret à y apporter, après coup, sa garantie. La même précaution fut observée dans la rédaction d’une convention particulière conclue entre l’empereur et le roi de Prusse et par laquelle étaient réglées les conveniences de Frédéric, c’est-à-dire la délimitation des territoires que Charles VII, escomptant d’avance la reprise de la Bohême, consentait à détacher de cette conquête en espérance. Ici encore le roi de France ne fut appelé à intervenir que comme témoin des promesses et garant de la bonne foi des parties[1].

Quoi qu’il en soit, malgré ces réserves, l’œuvre antipatriotique tant de fois dénoncée par Marie-Thérèse était de nouveau comsommée : l’Allemagne était une fois de plus partagée en deux camps, dont l’un appelait l’étranger, l’éternel ennemi, dans ses conseils et le provoquait même à violer le territoire sacré du saint-empire. L’ombre de Richelieu allait tressaillir dans sa tombe, tandis que le Rhin revoyait le fantôme de Louis XIV lui-même sous l’armure de son petit-fils. Cette résurrection d’un odieux passé était solennelle; aussi jamais résolution politique n’a suscité plus de controverses entre les contemporains, et n’en engendre encore aujourd’hui de plus vives entre les historiens que celle que prit alors Frédéric. Et, en vérité, pour le héros futur de l’unité et de l’indépendance allemande, le fait d’avoir lui-même pour la seconde fois, après une

  1. Chavigny au roi, avril, mai 1744, passim. (Correspondance de Bavière. — Ministère des affaires étrangères) — Frédéric à Rottenbourg et à Klingsgraeff, 13 mai 1744. (Pol. Corr., t. III. p. 136-138.)— Droysen, t. II, p. 273.