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surprendre par artifice et de livrer ensuite par délation les secrètes confidences du gouvernement hollandais. C’est ce genre plus ou moins honorable de bon office qu’il était en mesure de continuer même à distance de La Haye : car son ami, le jeune Podewils, qui occupait, comme nous l’avons vu, le poste de ministre de Frédéric auprès des états-généraux, trouvait manière, par de discrètes intelligences, de se procurer copie de la correspondance du pensionnaire Fagel avec son ambassadeur à Paris. Il la faisait passer sous main à Voltaire, qui ne remplissait que son devoir en la communiquant au ministère français. A la vérité, dans les termes dont il accompagna son premier envoi, on apercevait bien quelque embarras, provenant sans doute du souvenir de sa mésaventure et du regret de n’être pas appelé à un plus grand rôle. « Je vous supplie, disait-il au ministre, d’être bien persuadé que je ne suis pas ce que les Anglais appellent busy body, les Romains ardelio, et les Français, par périphrase, homme qui se fait de fête. Ma fête est que vos affaires prospèrent. Recevez ces inutilités du plus médiocre et du plus tendrement dévoué de vos serviteurs. » Mais, après ces excuses faites en son nom personnel, il continuait en accablant de ses railleries impitoyables ce qu’il appelait les grosses têtes hollandaises, principalement le pauvre ambassadeur à Paris, van Hoey, à qui il en voulait peut-être de n’avoir pu le déplacer, et qu’il qualifiait du nom de Platon de la Hollande, parce que le digne homme ne s’exprimait jamais que par sentences tirées soit de l’Écriture sainte, soit des philosophes de l’antiquité[1].

A l’exemple de Voltaire, ce n’était à Versailles, et même dans le ministère, que plaisanteries sur le compte des bourgeois flamands et sur l’émotion que semblait leur causer l’odeur de la poudre, qu’ils croyaient déjà sentir. L’impertinence, ce travers naturel au caractère des courtisans français, renaissant avec la confiance, trouvait là un sujet intarissable de s’exercer : c’était toujours Dorante raillant M. Jourdain et don Juan bernant M. Dimanche. Dans le conseil même, où ne manquaient pas de mauvais plaisans, comme Maurepas, la lecture des dépêches interceptées de van Hoey était un véritable divertissement. Et, en réalité, qui n’aurait souri quand on lisait un récit tel que celui-ci, fait par l’ambassadeur lui-même, d’une audience où on s’était amusé de lui presque à sa barbe? « Après avoir objecté les maux affreux qui sont les fruits inévitables de la guerre, je démontrai par des raisons invincibles que la puissance d’un roi de France, établie sur l’amour de la paix.

  1. Voltaire à Amelot, 14 décembre 1743, 15 janvier 1744 et passim. (Correspondance de Hollande. — Ministère des affaires étrangères.)