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elle, car elle allait se trouver engagée, bon gré mal gré, à essuyer le premier feu dans la rencontre prochaine des troupes de Marie-Thérèse et de celles de Louis XV. Les premiers boulets français lancés contrôles remparts d’Ypres, de Menin et de Tournay allaient frapper la poitrine des soldats républicains.

L’émotion fut tout de suite portée au comble : ce furent d’abord la colère, l’orgueil et le fanatisme qui débordèrent en invectives. « La fermentation est extrême, écrivait La Ville le 2 mars; c’est ici une maxime fondamentale et une opinion reçue par tous les états qui composent la république, que sa sûreté ne saurait se maintenir si le trône d’Angleterre cessait d’être occupé par un protestant... Je m’attends que, dans la plupart des églises des sept Provinces où l’on célèbre demain le jour de jeûne et de prières, les prédicateurs tâcheront, par des discours séditieux, d’exaspérer la populace, et je ne serais pas surpris de voir le fanatisme, qui s’était ralenti depuis quelque temps, se réveiller avec plus de véhémence que jamais... Il n’est plus question de secourir la reine de Hongrie, il s’agit de défendre la liberté et la religion. » Mais, peu de jours après, ce beau feu tombait et faisait place à l’inquiétude naturelle à des bourgeois paisibles brusquement détournés de leurs spéculations et de leur commerce. « On se flattait de nous intimider, poursuit La Ville le 16 avril, et on tremble actuellement de peur. Le parti de vigueur que le roi a pris a fait disparaître le prétendu courage, qui n’était fondé que sur l’opinion, également fausse, où l’on était de l’épuisement et de la faiblesse de la France. » Le trouble était d’ailleurs accru par les divisions intérieures. C’était encore la répétition des scènes du siècle précédent. Le parti qui gouvernait et qui professait les doctrines rigoureusement républicaines était accusé d’inaction, de faiblesse, d’impuissance. Le besoin d’un chef, le désir de l’unité dans le commandement, ces sentimens naturels dans toutes les crises politiques, étaient éprouvés et exprimés tout haut. On tournait les yeux vers l’héritier de la maison de Nassau, qui gouvernait déjà plusieurs provinces, et le rétablissement du stathoudérat, aboli depuis la mort de Guillaume III, était demandé dans la presse et discuté dans les conférences politiques[1].

Le ministère français était tenu au courant de toutes ces agitations, dans le moindre détail, par un singulier moyen qui lui permettait de compter en quelque sorte les palpitations du cœur de la république. On a vu que Voltaire, dans son malencontreux passage en Hollande, n’avait pu rendre qu’un véritable service, c’était de

  1. La Ville à Amelot, 2, 20 mars, 16 avril 1744. (Correspondance de Hollande. — Ministère des allaires étrangères.)