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lendemain. C’est un peu l’histoire des dernières élections. Et le gouvernement lui-même, au milieu de ces mouvemens d’opinion, que fait-il ? Comment entend-il se conduire ? Au premier abord, le gouvernement, à ce qu’il semble, serait intéressé à se modérer, à se faire des alliés de ces instincts conservateurs qui se réveillent, à les traiter en amis plutôt qu’en ennemis ; il le voudrait peut-être, il est malheureusement lié par trop de complicités et de connivences pour se séparer des radicaux, qu’il suit dans la pratique en ayant parfois l’air de les combattre dans ses discours. Il continue son système sans prendre garde qu’il s’affaiblit lui-même, qu’il ne fait qu’aggraver par ses équivoques le mal contre lequel commencent à s’élever les sentimens conservateurs du pays.

Que cette réaction, assez saisissable dans les derniers scrutins, puisse avoir plus d’une cause, qu’on l’exagère ou qu’on l’atténue, elle existe dans le fond du pays, qui sent ses malaises, et, il y a mieux, les succès des radicaux, aussi bien que les succès des conservateurs ne sont qu’un autre signe de cette fatigue, de ces mécontentemens intimes. Cette réaction, elle tient à toute une situation, elle se manifeste sous des formes diverses, et, s’il est un fait qui ait pu contribuer particulièrement à la provoquer, qui ait dû avoir une influence dans les élections, c’est cette crise des finances à laquelle la commission du budget s’efforce aujourd’hui de chercher quelque remède avant la rentrée des chambres. On dit assez souvent, quand on veut tout expliquer, ou tout excuser, que si la situation financière est devenue embarrassée, difficile, il n’y a là qu’un phénomène tout économique, dans tous les cas passager, que la politique n’y est pour rien. Le subterfuge est commode ; mais ces difficultés, ces embarras, qui donc les a créés ? quelle en est la cause directe, sensible, si ce n’est la politique qui, depuis quelques années, a multiplié toutes les dépenses, qui a développé artificiellement tous les travaux dans un intérêt de popularité équivoque, qui a abusé du crédit jusqu’à l’épuiser, qui a engagé toutes les ressources publiques sans règle et sans prévoyance ? Ce qui arrive n’est point sans avoir été prévu et prédit ; on n’en a voulu rien croire. On a vécu d’illusions et d’infatuations, on se réveille maintenant en face de la réalité, — et cette réalité, un peu dure, c’est ce que la commission du budget constate en cherchant les moyens de ressaisir un équilibre toujours fuyant. La vérité est que tous les calculs budgétaires sont trompés, que toutes les évaluations se trouvent n’être qu’une fiction, qu’à la place des anciennes plus-values, il n’y a qu’une décroissance permanente, chronique des ressources publiques, des revenus indirects. Pour les trois premiers mois de l’année, il y a déjà un déficit de 28 millions ; le mois d’avril seul a un mécompte de plus de 6 millions. Il y a bien des chances pour que d’ici au bout de l’année, la diminution des revenus soit de 80 millions, et si à ce chiffre on joint un chiffre au