Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/45

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sang de la Saint-Barthélemy et poursuivie des imprécations de tous les religionnaires réfugiés, — tous les rôles étaient renversés en Allemagne, et c’était le contraire qui avait lieu. Là le parti, je ne dirai pas favorable à la France, il n’y en avait point de tel, mais le moins hostile, était celui des petits états protestans, ennemis héréditaires de l’apostolique maison d’Autriche. C’était parmi ceux-là que Chavigny avait recruté les associés de son union fédérale et que Frédéric pouvait trouver des alliés pour sa future campagne. Mais c’étaient ceux-là aussi à qui la présence d’un prince allemand et protestant, leur semblable en tout, sur le trône d’une grande nation, causait le plus de joie et d’orgueil. L’humiliation infligée au papisme par la révolution anglaise de 1688 était célébrée par les fils de Luther comme une faveur de la Providence, dont il n’y avait point de pasteur en chaire, point de père de famille dans sa prière domestique, qui ne rendît publiquement grâces. L’idée que ce triomphe de leur foi était menacé par une coalition dont on les engageait à faire partie et qu’on leur demandait de verser leur sang et de donner leur argent, non pour abaisser l’église catholique en Allemagne, mais pour rétablir sa domination en Angleterre, causa dans tous les rangs des protestans une violente réaction et une rumeur générale.

A Francfort, en particulier, ce fut comme une tourmente d’opinion qui menaça de balayer d’un coup tous les plans si adroitement formés par Chavigny. C’était beaucoup si le texte déjà préparé du projet d’union n’allait pas être déchiré dans un accès de colère par ceux mêmes dont la signature était attendue. Plus d’un de ces associés futurs, d’ailleurs parens ou alliés de la nouvelle famille royale d’Angleterre, était personnellement intéressé au maintien d’un ordre de succession à la fois protestante et féminine qui pouvait, un jour ou l’autre, profiter à eux-mêmes ou à leurs descendans. « Mon fils a épousé une princesse anglaise, s’écriait le prince de Hesse, le plus chaleureux pourtant des partisans de la nouvelle union : comment veut-on que je lui enlève moi-même tous ses droits à la couronne ? Et si le roi George a besoin des Hessois pour se défendre, son gendre peut-il les refuser ? La France veut donc, ajoutait-il, la monarchie universelle pour sa religion favorite ? » L’empereur lui-même était consterné. — « On aurait pu me consulter, disait-il, avant d’allumer autour de moi une guerre de religion. » « Daignez, sire, écrivait Chavigny en rendant compte avec désespoir de ce retour d’opinion, et en invoquant les souvenirs que lui avait laissés un assez long séjour fait en Angleterre, éloigner ce fantôme de prétendant. Il y aura toujours en Angleterre des mécontens, mais quel fond peut-on y faire ? J’aurais eu le temps de me