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Forneron, pour autant que l’on puisse reconnaître « une manière » à M. Forneron. Il n’y faut voir incontestablement que purs effets de style, bordées de rhétorique, et comme qui dirait importations dans l’histoire des procédés naturalistes. Ayant déjà trouvé dans l’anecdote galante ou dans la particularité physiologique un moyen court et facile de provoquer l’attention, M. Forneron n’a considéré dans la violence de la forme et la liberté de l’expression qu’un moyen sûr, bien que vulgaire, de l’exciter davantage, et au besoin de l’exaspérer plutôt que de la laisser endormir. Sottise donc, avidité, cruauté, perfidie, lâcheté, trahisson, si ces mots et bien d’autres lui viennent sous la plume, il faut se souvenir qu’il n’a pas pris la peine de les peser, et encore moins l’engagement de prouver qu’il eût le droit de s’en servir. Mais, tout simplement, et sans approfondir davantage, il lui a paru qu’ils donnaient du ton à la phrase, de la couleur au style, de la vie à l’histoire, et enfin à la pensée je ne sais quel air aussi d’indépendance et de fierté. — On le voit, nous cherchons des excuses à M. Forneron ; mais quand nous en trouverions encore davantage, il ne resterait pas moins vrai que si l’on fait ainsi, quelquefois, de l’histoire amusante, ce que l’on fait très assurément, c’est de l’histoire superficielle. Léger dans la forme, quoique non pas autant peut-être que l’eût souhaité l’auteur, ce livre est léger dans le fond, et beaucoup plus, à notre humble avis, qu’il n’eût convenu au sujet. Nous nous contenterions de le dire, si nous imitions nous-même les procédés sommaires de M. Forneron ; il sera peut-être meilleur d’essayer de le prouver ; deux ou trois points, d’ailleurs, — et non pas les moins important d’une histoire de l’émigration, — se trouvent intéressés à la preuve.

M. Forneron, dans son premier volume, après et d’après M. Taine, insiste longuement sur les excès de tout genre qui, dès le lendemain même de la prise de la Bastille, auraient rendu la France inhabitable à quiconque ne se déclarait pas courtisan de la révolution. Il est permis de dire, en effet, que, si la terreur date du jour où, dans la suspension de toutes les lois protectrices de l’ordre public et de la sécurité privée, une minorité de faibles s’est vue livrée en proie à l’oppression des plus forts, les hommes que l’histoire a flétris du noms de terroristes n’ont guère fait que donner le cours légal à un système de violences que la populace des villes et surtout des campagnes avait trouvé d’abord et appliqué d’elle-même. Or, sur ce point, la lumière semble aujourd’hui faite, et d’autant plus vive, ou en quelque sorte plus vengeresse, que les historiens de la révolution l’avaient plus longtemps et plus soigneusement cachée. De grands crimes ont souillé les années 1789 et 1790, non-seulement à Paris, mais dans les provinces, plus nombreux sans aucun doute et, puisqu’il faut distinguer des degrés dans le crime, plus atroces peut-être dans les provinces qu’à Paris. Cette explication toute seule excuse, ou plutôt