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d’Arequipa et de Lima ont montré, dans un camp comme dans l’autre, la solidité des vieux routiers de Pizarro.

Mais le même esprit séparatiste qui a fait si longtemps le malheur de l’Espagne et armé les unes contre les autres les fières populations de ses provinces, Basques contre Aragonais, Navarre contre Castille, Murcie contre Grenade, et qui mit plus d’une fois ce vaste empire à deux doigts de sa perte, ce même esprit se retrouve encore dans ces immenses territoires à peine peuplés de l’Amérique méridionale. Nous y voyons une race identique, une foi religieuse commune ; la langue, les mœurs, l’origine sont les mêmes, mêmes aussi les qualités, les défauts, l’orgueil et le courage, même enfin l’organisation politique et la forme du gouvernement. Dans ces conditions, la guerre est véritablement une guerre civile et, de part et d’autre, on commence à s’en rendre compte. A l’entraînement de la lutte succède un apaisement relatif qui permet de mesurer les pertes subies, les résultats obtenus, et de discerner les causes du succès du Chili et de la défaite du Pérou.

Ces enseignemens de l’histoire ne sauraient être perdus. Mais il en est un qui s’impose aux esprits même les plus prévenus, c’est que les questions qui divisent les républiques hispano-américaines peuvent être réglées sans recourir à la guerre et que ces républiques ont un meilleur emploi à faire de leur or et de leur sang. Triompher des obstacles que leur oppose la nature, mettre en valeur les immenses ressources de leur sol et de leur climat, conquérir à la civilisation les vastes solitudes auxquelles elles confinent, est une tâche plus utile et plus glorieuse que de se mesurer sur des champs de bataille illustrés déjà par les luttes communes soutenues par leurs ancêtres pour conquérir une indépendance désormais assurée. Si, mettant à profit le légitime ascendant que lui donnent ses victoires, le Chili sait ramener à lui, par une paix honorable, ses ennemis d’un jour pour en faire ses alliés, s’il concentre en un faisceau commun des forces, jusqu’ici divisées, pour les entraîner avec lui dans la voie des conquêtes pacifiques, il aura plus fait pour sa gloire et pour sa fortune qu’en triomphant de la coalition du Pérou et de la Bolivie. Il aura jeté les fondemens d’un riche et puissant état dont la prospérité pourra égaler un jour celle de la grande république américaine. Sur ce vaste continent, découvert par les vieux conquistadores il aura créé un empire nouveau et affirmé la vitalité puissante de cette race espagnole qui a joué un si grand rôle dans notre vieille Europe et sur les possessions de laquelle le soleil ne se couchait jamais.


C. DE VARIGNY.