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car le roi ne donna aucun signe de l’humeur vindicative et soupçonneuse qu’on lui avait fait craindre. Dès le 16 mars, Rottenbourg écrivait à Frédéric : « Le moment me paraît venu de conclure tout à fait avec la France ; le roi paraît sérieusement résolu à oublier tout à fait le passé ; il a fait dire à l’empereur qu’il lui donnait sa parole royale de ne pas poser les armes jusqu’à ce qu’il lui eût fait donner satisfaction. La majorité du conseil n’est pourtant pas encore sûre : j’ai pour moi Noailles, Tencin, Belle-Isle ? mais il faudra ménager les quatre autres (Orry, Amelot, Maurepas et d’Argenson) jusqu’à ce que j’aie trouvé le moyen, si faire se peut, de les bouleverser par le parti que je me suis fait dans le conseil du roi de France et qui sera tout à fait à notre dévotion. Le roi va me recevoir en audience privée chez Mme de Châteauroux. » Ce fut probablement cette confiance qui décida l’envoyé prussien à outrepasser un peu ses instructions : il ne devait qu’observer, écouter et répondre ; il se résolut à passer une note qui résumait en six articles les désirs du roi de Prusse et qui ne pouvait manquer d’être soumise au conseil[1].

La réponse fut favorable presque sur tous les points ; nulle difficulté sur le passage, dans les rapports avec l’Autriche, de l’hostilité de fait à l’hostilité de droit ; nulle objection élevée contre les avantages territoriaux réclamés par le roi de Prusse, sous la seule réserve d’une entente préalable avec l’empereur dans le cas où il serait question d’un démembrement de la Bohême. À cette condition, la France pouvait d’autant moins s’opposer à cette extension de la Prusse que, renonçant cette fois, pour son compte, à la politique de désintéressement, ou plutôt de duperie, qu’elle avait suivie jusqu’alors, elle demandait à s’étendre elle-même du côté des Pays-Bas, au moins par l’acquisition de quelques places fortes. Mais l’envoi d’une force armée nouvelle en Allemagne rencontra, comme on devait s’y attendre, plus de difficultés. La note s’exprimait sur ce point en termes évasifs et légèrement ironiques. « Le roi, y était-il dit, désire à cet égard se conformer à ce que le roi de Prusse désire, et, pour entrer dans ses vues autant qu’il est possible, comme il n’y a pas lieu de douter que la reine de Hongrie ne retire ses troupes des bords du Rhin dès que les opérations du roi de Prusse commenceront, alors Sa Majesté fera passer le Rhin à son

  1. Droysen, t. III, p. 265. — La mention de Belle-Isle au nombre des membres du conseil est singulière. Belle-Isle n’était pas ministre et même ne l’avait jamais été, ce poste étant incompatible avec les hautes fonctions de diverses natures qu’il avait remplies en Allemagne. Rottenbourg voulait dire, sans doute, qu’il comptait sur le concours de ce maréchal, qui, comme on va le voir, essayait alors de rentrer en grâce et s’était mis en relations suivies avec Tencin.