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s’ébranlent en bon ordre, franchissent rapidement la distance qui les sépare du pied des collines et commencent l’escalade. Le feu de l’artillerie péruvienne redouble, trouant les bataillons, jonchant les pentes de morts et de blessés ; mais les Chiliens avancent, ils couronnent les hauteurs. La lutte s’engage corps à corps ; sous leur irrésistible élan et leur ténacité, les Péruviens sont obligés de céder. Ramenés de tranchées en tranchées, ils se replient sur Chorrillos. La division péruvienne du général Iglesias tient cependant toujours sans lâcher pied ; mais, à midi, cernée de trois côtés par l’ennemi victorieux, décimée et épuisée, elle est obligée, elle aussi, de se replier sur Chorrillos.

Maîtresses des hauteurs, les divisions chiliennes descendent au pas de course sur Chorrillos, mais, à peine engagées dans les rues étroites de la ville, elles sont accueillies par une grêle de balles qui arrêtent leur élan. Les fenêtres, les terrasses, les toits plats couverts de tirailleurs font de chaque maison une citadelle qu’il faut emporter d’assaut, dont les défenseurs, après avoir épuisé leurs munitions, luttent encore à la baïonnette, et sur le seuil desquelles les assaillans font, en forçant les portes, éclater des bombes automatiques. L’acharnement de la lutte est tel que, de part ni d’autre, on ne fait de prisonniers. Recabarren, officier péruvien, conduit pas à pas cette résistance obstinée ; Cacérès, son lieutenant, rallie deux mille fuyards et les ramène grossir les rangs des défenseurs de Chorrillos. Incertain du succès, décidé à en finir à tout prix, voyant ses troupes décimées, Baquedano fait avancer l’artillerie chilienne à portée de mousquet ; les bombes, les obus éclatent sur la ville, l’incendie s’allume, les Chiliens l’activent, les maisons s’écroulent dans les flammes, entraînant avec elles leurs défenseurs. A trois heures, la lutte est complètement terminée.

A Lima, on attendait avec impatience les nouvelles de la victoire prédite. Nous empruntons à l’excellent ouvrage que M. Diego Barres Arana a publié à Paris sous le titre de Histoire de la guerre du Pacifique[1], la traduction du récit d’un adjudant péruvien à Lima. Mieux que tout autre, dans son évidente sincérité, il nous trace le tableau mouvementé de ce qui se passait, en ces heures tragiques, dans la capitale menacée.

« C’était le 13 janvier, dit-il, le jour commençait à peine lorsque le galop allongé des chevaux, le pas précipité des allans et venans, les charrettes qui s’éloignaient et les cris nous réveillèrent brusquement.

« Une rumeur sourde bourdonnait à nos oreilles, quelquefois

  1. 2 vol. in-8o ; Librairie militaire de Dumaine.