Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/428

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fraîches expédiées de Lima et par les débris des colonnes péruviennes refoulées de San Juan et de Villa, cette division défiait l’attaque des assaillans. Derrière elle, le village de Chorrillos, fortement occupé, avait été converti en place forte. Les jolies villas de ce lieu de plaisance, solidement construites en pierres et entourées de rians jardins, avaient été crénelées et fortifiées, ainsi que les rues étroites du village. Les balcons et vérandahs, abrités par des sacs de terre et de matelas, garnis de tirailleurs, faisaient de chaque maison une sorte de place forte ; les escaliers, brisés, défendaient l’accès des étages supérieurs. En outre, pour aborder Chorrillos, il fallait s’emparer du Morro Solar, dont le feu plongeant dominait la plaine et la ville.

Emportée par son élan victorieux, la division Lynch, maîtresse des lignes de San-Juan, vint se heurter contre ces obstacles ; mais une première tentative pour les enlever de haute lutte échoua. Les troupes, épuisées par une nuit de marche et une lutte acharnée de quatre heures, pouvaient à peine se maintenir sur les positions qu’elles occupaient. Le général Iglesias attendait l’attaque de pied ferme. Il laissa les Chiliens s’avancer à portée de ses batteries redevenues silencieuses depuis que leur feu a brisé l’élan de la cavalerie chilienne ; par ses ordres, le sommet du Morro Solar s’éclaire des feux de son artillerie. Les balles des mitrailleuses, les boulets éclatent dans les rangs des colonnes chiliennes. La division Lynch oscille et plie. Les Péruviens voient son hésitation et reprennent l’offensive, rejetant sur les pentes couvertes de morts et de blessés le 4e de ligne et le régiment d’Atacama. Le 2e de ligne est obligé de lâcher pied. En vain, le colonel Lynch et son chef d’état-major s’efforcent de rallier leurs troupes. En dépit de leurs efforts surhumains, il faut céder. Lynch envoie prévenir le général en chef et demander des renforts et ramène en arrière ses troupes décimées pour leur faire prendre un repos chèrement acheté. Les soldats, épuisés, se couchent sur le sable sans quitter leurs armes et se préparent à un suprême effort. Le général chilien était décidé à le tenter. Une victoire décisive pouvait seule justifier les énormes sacrifices d’hommes que coiffait au Chili cette lutte glorieuse, mais indécise encore. Par un mouvement hardi, il ramène en arrière sa droite et son centre victorieux ; les bataillons de sa première division, reformés et concentrés, sont, en outre, renforcés par la réserve sous les ordres de Martinez ; le colonel don Pedro Lagos reçoit l’ordre d’amener également en ligne sa brigade et rejoint immédiatement. Lançant résolument cette masse de combattans, qui rallie la brigade Lynch, à l’assaut des pentes fortifiées, il lui donne l’ordre d’emporter les crêtes et d’enlever Chorrillos. Les colonnes chiliennes