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Ces murs crénelés abritaient l’infanterie. L’accès en était défendu par de larges fossés remplis d’eau et par des redoutes armées de soixante-dix pièces d’artillerie. L’armée de réserve, forte de dix mille hommes, occupait ce camp retranché, prête, suivant les circonstances, à se porter en avant pour défendre les lignes de Chorrillos, ou à rallier, en cas de défaite, les bataillons vaincus et à livrer derrière ces remparts une seconde bataille.

A Lima, la confiance était sans bornes ; on n’estimait pas possible que l’armée chilienne pût attaquer de front des positions aussi redoutables, exposée à découvert à un feu formidable. Emporter Lima en présence de pareils obstacles semblait une tentative insensée. « Lima, répétait-on constamment, sera le tombeau des Chiliens. » Le 9 décembre, le dictateur Pierola inaugura la citadelle construite sur le mont Cristobal dans une grande fête militaire, où le clergé bénit les drapeaux de l’armée et l’épée du président. Pierola y prononça un discours qui porta à son comble l’enthousiasme et la surexcitation de la population et de l’armée. « Le Chili est insensé, s’écria-t-il. Il rêve d’occuper la ville de Pizarro, la cité des Titans, et d’y dicter des lois au Pérou et l’Amérique du Sud. Il veut venir à Lima ; qu’il y vienne donc et là il recevra le châtiment terrible que mérite son audace. »

La confiance des défenseurs de Lima semblait justifiée, et dans le camp chilien on n’était pas sans appréhensions sur le résultat de la campagne. Dans l’état-major les avis étaient partagés. Aborder de front et à découvert les lignes de Chorrillos, puis de Miraflorès, semblait à quelques-uns des principaux chefs une entreprise périlleuse. En cas d’échec, on ne pourrait tenir à Lurin, force serait de se rembarquer, et un pareil embarquement sous le feu d’ennemis vainqueurs était une éventualité redoutable. Ils conseillaient de laisser sur la gauche, sans les aborder, les défenses de Chorrillos, de gagner par la droite la plaine du Rimac, et de prendre à revers les lignes de défense et la ville de Lima. Mais, pour cela, il fallait franchir par une marche, où l’on s’exposait à être surpris en flanc, des plaines sablonneuses au milieu desquelles l’artillerie n’avançait qu’avec de grandes difficultés ; on se privait du concours des bâtimens de guerre dont les batteries couvraient la gauche de l’armée et, si l’on évitait les lignes de Chorrillos, on venait se heurter aux forteresses de San-Bartolome et de San-Cristobal qui croisaient leurs feux avec ceux de Miraflorès. Après une discussion d’autant plus vive que le ministre de la guerre penchait pour le second plan, alors que le général en chef se déclarait en faveur d’une attaque de front sur les lignes de Chorrillos, ce dernier finit par l’emporter et par rallier, dans le conseil de guerre, la majorité des suffrages.

En faisant prévaloir ses vues, le général Baquedano ne se