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Le gouvernement s’efforçait de détourner ses colères sur le contre-amiral Montero, qu’il déclarait responsable des désastres subis. Il fallait un bouc émissaire aux fautes des uns, à l’impéritie des autres, à l’aveuglement de tous. On jetait à la populace le nom de Montero. Par ses alliances, par sa famille il appartenait aux classes aristocratiques, et bien que le commandement en chef des armées alliées eût été aux mains du général bolivien Campero, bien que Montero en fait son devoir à la tête des troupes péruviennes, on le dénonçait hautement à la vindicte publique. Émus du danger qui le menaçait, menacés eux-mêmes avec lui, ses amis et ses partisans protestèrent contre ces accusations, rejetant la responsabilité des fautes commises sur le gouvernement et réclamant une enquête. Pierola comprit qu’il était allé trop loin, que les partisans de Montero pouvaient, à un moment donné, s’unir à ses propres ennemis et précipiter sa chute, que Montero avait encore dans le pays et dans l’armée une influence avec laquelle il fallait compter. La presse dont il disposait cessa subitement ses attaques contre Montero et le dictateur publia une proclamation par laquelle il attribuait les revers subis à la bravoure impatiente des armées alliées, qui ne leur avait pas permis d’attendre, disait-il, à l’abri de leurs retranchemens, l’attaque des Chiliens et les avait entraînées à leur offrir le combat dans des conditions défavorables. A l’entendre, ces succès stériles ne pouvaient que conduire à sa perte l’armée chilienne engagée dans un pays ennemi, impuissante à combler les vides que la maladie et les combats faisaient dans ses rangs. « Pour nous, ajoutait-il, nous n’en sommes que plus forts et plus résolus. Mon devoir est de maintenir nos droits, sans relâche, sans défaillance. Je le ferai, soutenu par six millions d’hommes. »

En Bolivie, l’impression était autre, autre aussi l’attitude. Dès le 29 mai, le bruit courait à La Paz que les armées alliées de la Bolivie et du Pérou avaient été défaites à Tacna. Le lendemain, on recevait le rapport officiel du général Campero. Il ne contenait que quelques lignes, écrites à la hâte, dans un campement improvisé et au milieu de troupes débandées. « Hier, disait-il, à deux lieues de Tacna, l’armée alliée placée sous mes ordres a été détruite, après un combat meurtrier de plus de trois heures. » Il terminait en acceptant la responsabilité de ses actes et en déclarant se soumettre au jugement de la convention nationale. Cette dernière fut à la hauteur des événemens et de sa tâche. Réunie le même jour, elle entendit en silence la lecture de la dépêche, confirma par quarante-six votes sur soixante-quatre, le général vaincu dans ses fonctions de président de la Bolivie et députa une commission de trois membres pour lui en donner avis et l’inviter à revenir à La Paz.