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1874, toute pleine de combinaisons artificielles pour organiser un pouvoir qui n’eût été ni la république, ni la monarchie. De l’échec de toutes ces combinaisons devait sortir la constitution de 1875.

Durant la première période, M. Gambetta est au second plan, il faudrait dire au dernier. Ceux qui exploitent aujourd’hui ce nom retentissant répètent volontiers que M. Gambetta fit échouer, en 1873, la restauration de M. le comte de Chambord. Il n’y a qu’une chose à leur répondre : Si la monarchie n’avait eu d’autre ennemi que l’orateur du parti radical, il y a longtemps qu’elle serait faite et qu’ils en seraient les serviteurs. M. Gambetta, sans doute, durant les négociations de septembre, continuait à remplir sa fonction, c’est-à-dire à parler, mais la France n’accordait aucun crédit à sa parole. La restauration monarchique a eu pour adversaires le centre gauche et M. Thiers. Finalement, elle a échoué devant les répugnances des constitutionnels libéraux. On l’oublie trop aujourd’hui.

C’est encore M. Thiers qui a eu la plus grande part dans les événemens qui ont abouti à la constitution de 1875. On se souvient avec quelle persévérance ses amis du centre gauche demandaient la discussion et le vote des lois constitutionnelles. Mais le centre gauche et M. Thiers furent aidés, dans cette œuvre de conciliation, par une importante fraction du centre droit et par toutes les gauches (y compris M. Gambetta et le groupe qui lui obéissait. C’est à cette date (1874-1875) que commence, pour ce dernier, l’évolution politique qui le prit révolutionnaire et le laissa opportuniste. Il convient de s’y arrêter un instant. Allons-nous assister à une de ces transformations dont l’histoire nous offre de si nombreux exemples ? L’opportuniste diffère-t-il de cet agitateur, qui, du 2 juillet 1871 au 24 mai 1873, a provoqué la chute de M. Thiers et compromis la république ; de ce dictateur violent et faible qui, du 8 octobre 1870 au 26 janvier 1871, a précipité nos malheurs et achevé notre défaite ; de ce révolutionnaire de 1870, qui, témoin impassible des événemens, n’a su ni se ranger du côté de l’ordre légal, ni exécuter une révolution qui eût épargné à l’armée de Châlons la catastrophe du 1er septembre ? Non, l’esprit de M. Gambetta ne sera pas plus réfléchi ; son caractère ne sera pas plus déterminé, sa nature ne sera pas moins vaine, moins personnelle, moins tyrannique. L’acteur aura changé de rôle. On ne s’expliquerait pas ce changement si on ne connaissait la composition de l’assemblée nationale à la fin de 1873 et au commencement de 1874. Nous la dirons rapidement.

Depuis le mois de novembre 1872, époque où M. Thiers s’était définitivement prononcé pour l’organisation de la république, l’assemblée nationale était partagée en deux grands partis à peu près égaux en nombre, en puissance, en intelligence. L’un voulait