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n’a pas voulu comprendre que l’intérêt, à défaut de toute sagesse, lui faisait un devoir de respecter la candidature de M. de Rémusat. Les Parisiens ont élu M. Barodet ; Lyon a choisi M. Banc, ancien membre de la commune ; Marseille s’est bien gardée de rester au-dessous de cette prudente manifestation. M. Thiers, battu devant l’assemblée, a donné sa démission[1]. Le maréchal de Mac-Mahon occupe maintenant le poste qu’illustra le libérateur. La vice-présidence du conseil a passé de M. Dufaure à M. le duc de Broglie. Parmi les membres du cabinet qu’il dirige figurent MM. Ernoul et de La Bouillerie. M. de Goulard a paru trop peu conservateur pour entrer dans le nouveau ministère. Voilà les conséquences de l’apostolat républicain de M. Gambetta. Il est bon de les opposer aux insupportables prétentions de ses successeurs.

Du 24 mai 1873 jusqu’à cette journée, qui faillit encore n’être pas décisive, où l’assemblée vota, à une voix de majorité, la proposition Wallon, que de combinaisons, que de tactiques, que de stratégies, que d’incertitudes, que de contradictions, que de crises ! Aujourd’hui cependant, quand nous jugeons à la lumière de la philosophie historique cette grande lutte des partis qui a duré vingt et un mois, de la chute de M. Thiers au 25 février 1875, tout ne nous semble pas stérile dans cette succession de malentendus, de disputes et de conflits. Il en ressort avec une clarté parfaite que la force et l’intrigue ont perdu leur influence sur la marche de nos affaires intérieures et que c’est à la libre discussion, à l’examen réfléchi, à la raison qu’il faudra dans l’avenir demander la solution de nos difficultés. Jamais hommes politiques ne déployèrent plus d’habileté que ceux qui entreprirent en 1873 la restauration de la monarchie légitime. Mais comme ils la voulaient ou l’acceptaient sans conditions, leur habileté fut inutile. À cette même époque, une vaste conspiration bonapartiste s’organisait pour rétablir l’empire. Elle échoua, et si elle eût tenté les chances d’un coup de main, elle eût fini misérablement. Il en résulte aussi (et qui ne s’en réjouirait) que la grande majorité des Français répugne aux solutions extrêmes et qu’elle ne souscrira jamais qu’à des institutions équitablement libérales. Ces vingt et un mois d’agitations se divisent en deux périodes très distinctes : la fin de 1873, entièrement consacrée aux tentatives de restauration monarchique ; l’année

  1. Nous ayons dit plus haut que bien peu d’hommes politiques avaient été surpris par la chute de M. Thiers. Nous croyons qu’il n’y en eut guère que deux qui ne prévirent pas le 21 mai : M. Thiers, d’abord, qui, par les immenses services qu’il avait rendus, par la confiance qu’il inspirait, par sa très grande expérience, se croyait absolument nécessaire ; M. Gambetta ensuite, dont le défaut de clairvoyance n’aura plus besoin d’être démontré.