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relations assez intimes avec la maison Stuart et avait même obtenu, par l’intermédiaire du prétendant, le chapeau de cardinal que la cour de Rome tenait toujours à la disposition du roi légitime d’Angleterre. On supposa naturellement que la fuite du prince était combinée avec le cabinet de Versailles pour l’aider à susciter des embarras à ses rivaux et profiter des divisions croissantes dont, d’après la vivacité de certains débats parlementaires, on devait supposer que l’Angleterre était travaillée.

C’était vraisemblable, mais ce n’était pas, ou du moins ce n’était qu’à moitié vrai. Tencin, par ses relations privées, avait bien été vaguement averti des projets du prince et avait pu y donner quelques encouragemens plus vagues encore. Des relations subsistaient aussi depuis longtemps entre le cabinet français et plusieurs chefs jacobites d’Angleterre, et, pour profiter à l’occasion du concours plus ou moins efficace que ces seigneurs ne cessaient d’offrir, quelques préparatifs étaient déjà faits, à petit bruit, à Dunkerque, afin de leur faire passer, si besoin était, des munitions, des subsides, peut-être même un corps auxiliaire de débarquement. Mais l’aventure, si on se décidait à la tenter, devait suivre et non précéder la déclaration d’une guerre ouverte, et rien au fond n’était encore à cet égard définitivement arrêté. Il ne manquait pas de gens, en effet, à Versailles (on peut le voir par des lettres du maréchal de Noailles), assez au courant de l’état véritable des choses en Angleterre, pour avertir que l’opinion nationale y était toujours très prononcée en faveur de la succession protestante, et qu’aucun homme ni aucun parti aspirant sérieusement au pouvoir n’était prêt à se compromettre en se ralliant à un prétendant catholique. La diversion espérée n’aurait donc, suivant toute apparence, d’autre effet que de rallier les dissidens autour du trône de George et de faire cesser ainsi les dissentimens mêmes dont on se proposait de profiter. En tout cas, le dessein d’une si grosse affaire devait être mûri longuement et en secret avant d’éclater, et la venue prématurée de Charles-Édouard en France ne pouvait que compromettre le mouvement en le précipitant[1].

  1. Il paraît bien, malgré les dénégations que fit alors, comme on va le voir, le gouvernement français, que le projet de tenter une contre-révolution en Angleterre fut agité dans le conseil, dès le commencement de 1744, puisque, une patente du 13 janvier investit le comte de Saxe du commandement à exercer, le cas échéant, en Angleterre, au nom de Jacques III. Mais rien n’indique que ce dessein, encore vague, eût reçu avant la venue du prince Édouard même un commencement d’exécution. Une réunion de bâtimens de transport et même de troupes eût-elle eu déjà lieu à Dunkerque, ce n’était encore qu’une menace simple d’hostilité contre le gouvernement anglais et qui ne soulevait pas de question dynastique. — L’opposition faite par Noailles au projet est consignée dans ses lettres au roi, 10 février 1744, et à Chavigny, 5 mars. (Mémoires de Noailles, édition Petitot, t. III, p. 304.)