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Heureusement échappé aux embarras que pouvaient lui créer les hommes de la commune, M. Gambetta, candidat aux élections complémentaires du 2 juillet 1871, revient à l’assemblée. De ce jour, commence pour lui une carrière nouvelle. Elle a des phases diverses. La première, fort oubliée de nos jours, s’étend du lendemain des élections au 24 mai 1873. C’est la lutte contre M. Thiers et les représentans du pays. Dans l’assemblée nationale, dont nous décrirons plus tard les élémens, M. Thiers s’était définitivement engagé dans la république et y avait engagé avec lui les hommes modérés réunis sous la dénomination de centre gauche. Le titre même de chef du pouvoir exécutif de la république française, qu’il s’était fait donner à Bordeaux, était une première garantie pour les républicains. M. Thiers ne s’en était pas tenu là. Le 10 mars 1871, il avait rendu hommage « au désintéressement des hommes généreux de la république[1]. » Le 27 du même mois, il avait protesté contre les calomnies « qui le représentaient s’apprêtant à renverser la république[2]. » Le 8 juin, il avait dit à l’assemblée que toute menace contre la république « aurait été une souveraine imprudence[3]. » L’attitude de M. Thiers n’avait pas échappé aux droites monarchiques. Des incidens divers avaient plusieurs fois marqué le mécontentement de ces dernières. Le plus grave s’était produit le 11 mai précédent entre M. Mortimer-Ternaux et le chef du pouvoir exécutif. M. Thiers y avait été cassant, blessant pour l’ensemble de la droite[4]. Dans ces conditions, la conduite de M. Gambetta était toute tracée. M. Thiers voulait la république. L’ancien dictateur devait le soutenir, ne fût-ce que par intérêt, puisque les partis ne sont pas capables d’une vertu plus haute.

Mais, à cette époque, l’intérêt de la république ne coïncidait pas avec l’intérêt de M. Gambetta. Le dictateur commence contre le gouvernement aussi bien que contre l’assemblée la campagne ininterrompue dont nous allons raconter les incidens. Nous prouverons ainsi ce que vaut la légende qui nous donne M. Gambetta comme le collaborateur de M. Thiers et le fondateur de la république.

On a souvent écrit que M. Gambetta était l’homme d’une seule idée ; il serait plus exact de dire : d’une seule préoccupation. La préoccupation, chez lui, arrivait vite à la passion. Du 2 juillet 1871 au 24 mai 1873, sa préoccupation fixe est d’empêcher M. Thiers et l’assemblée nationale de fonder la république conservatrice des centres. Il est facile de le prouver. Le 22 juillet, on délibère sur la

  1. Discours de Thiers, t. XIII, p. 89.
  2. Ibid., t. XIII, p. 149.
  3. Ibid., t. XIII, p. 315.
  4. Ibid., t. XIII, p. 217.