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populaires. Illusion, sans doute ! Mais cette illusion donnait au Paris du mois d’août 1870 une physionomie particulière. M. Gambetta, considéré jusque-là comme un Ledru-Rollin, apparaissait aux révolutionnaires comme le Danton des temps nouveaux. Il n’avait pas besoin d’audace ; dans la journée du mardi 9 août, il n’avait besoin que de décision. D’où lui seraient venus les obstacles ? De l’empereur ? Mais l’empereur n’osait se montrer ni dans Paris, ni au milieu des troupes, qui lui reprochaient d’avoir terni leur lustre. De l’impératrice ? Mais ses conseillers étaient incapables d’une détermination vigoureuse. Du corps législatif ? Mais, accablé sous le poids de sa responsabilité et retenu par son serment, il semblait attendre que l’orage l’emportât. De ses collègues de la gauche ? Ceux-là étaient faits pour tout subir, le 4 septembre comme une autre journée. Aurait-il craint le maréchal Baraguey-d’Hilliers ? « Le 9 août serait devenu le 4 septembre, a dit M. Piétri, sans l’énergie du commandement militaire. » Le 9 août serait devenu le 4 septembre sans la faiblesse de M. Gambetta. Le préfet de police n’avait pas vu le maréchal, pressé de tous côtés par le flot des manifestans et captif de la foule qu’il avait ordre de disperser. Mais le déplacement seul de cette multitude, semblable au roulement de la vague, l’aurait précipité dans la Seine. Le 9 août, la révolution était faite. Elle était faite dans les esprits, faite dans les journaux, faite sur la place publique. Déjà la foule avait envahi le jardin du Palais-Bourbon. Elle y cherchait son chef, M. Gambetta s’était dérobé…

Ce que nous venons de dire permet déjà au lecteur d’entrevoir ce que seront, aux heures décisives que tout homme politique traverse, l’esprit et le caractère de M. Gambetta. Les événemens du mois d’août 1870 ne nous donnent pas encore sa mesure. Ils nous font seulement pressentir ce que l’homme vaudra. On l’a comparé quelquefois à Danton. Le 9 août, la fortune lui a offert l’occasion d’être un Danton, — moins les crimes ; il a fait défaut à la fortune. Il n’a eu d’audace que dans la parole ; dans l’action, il a été timide jusqu’à l’effacement volontaire. Il est sorti de cette épreuve comme un Danton manqué. Parleur audacieux et puissant, esprit indécis, cœur faible, caractère irrésolu, voilà M. Gambetta à la veille de la révolution du 4 septembre.


III

Le maréchal de Mac-Mahon, après de cruelles hésitations, est allé se perdre dans sa fatale marche sur Montmédy. L’empereur est prisonnier. L’armée est captive. Les ministres du 10 août, comme