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bonne part la témérité d’un coup de tête, — avait dû pourtant lui faire observer qu’une campagne purement défensive, après une bataille perdue et sans possibilité de revanche immédiate, n’offrait pas à la majesté royale une occasion bien éclatante de rentrer en scène. Louis avait dû céder à l’insistance de ses courtisans, qui lui représentaient, dit Tencin, qu’un roi ne devait marcher qu’avec la victoire. Mais la saison nouvelle, en ouvrant de meilleures espérances, ne laissait plus de place à ces prétextes auxquels une voix chérie lui reprochait peut-être tout bas d’avoir eu trop d’égards. Son ardeur d’autant plus excitée qu’elle n’avait pu être satisfaite, en le détournant de tous les partis de faiblesse, le rendait plus accessible aux conseils de ceux qui lui prêchaient les résolutions héroïques. « Je suis comme l’oiseau sur la branche, écrivait-il en voyant approcher le moment de se signaler, et je désire de vieillir à un point inexprimable[1]. »

Ce que nous nommerions aujourd’hui le parti d’action gagnait donc chaque jour du terrain dans les conseils et surtout dans l’esprit de Louis XV. Dès la fin de l’automne précédent, deux faits qu’il est singulier, mais nécessaire de rapprocher, donnèrent la mesure de ce progrès. Le 22 octobre, Mme de La Tournelle recevait le brevet de duchesse qu’elle avait exigé dès le premier jour comme le signe éclatant de sa faveur, et, le lendemain 25, un traité d’alliance était signé avec l’Espagne, stipulant en termes exprès une déclaration de guerre immédiate faite à la Sardaigne et en laissant pressentir une autre à courte échéance à l’adresse de l’Angleterre.

La grâce accordée à Mme de La Tournelle eut un éclat et une ampleur qui dépassaient tout ce qu’avait fait Henri IV pour Gabrielle ou Louis XIV pour La Vallière. Le duché créé pour elle n’était point assis sur quelque fief obscur, mais bien sur le château royal qui dominait la cité de Châteauroux, ville de plusieurs milliers d’âmes, et sur un domaine de la couronne pris à bail par les fermiers-généraux pour une rente annuelle de 85,000 livres. Les lettres patentes enregistrées au parlement donnaient pour motif d’une si généreuse concession « les services qu’avait rendus à la couronne, depuis plusieurs siècles, l’illustre famille dont Mme de La Tournelle était issue, et aussi les qualités d’esprit et de cœur dont elle avait fait preuve depuis qu’elle était attachée à la reine (notre chère compagne) et qui lui avaient acquis une estime et une considération universelles. »

  1. Le roi au maréchal de Noailles, 24 juillet, 9 août, 3, 16 septembre 1743. — Le maréchal au roi, 6, 30 août 1743. — Rousset, t. I ; Introduction, XC, CXI. — En racontant ces hésitations du roi pendant la fin de la campagne de 1743, M. Rousset me parait les avoir jugées trop sévèrement.