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croissante des barbares qui, n’étant plus contenus, s’organisèrent pour l’attaque, et dans la décomposition de l’armée romaine, qui rendit la résistance impossible. Quand les barbares, instruits par tant de guerres, furent en état de combiner des opérations offensives, l’empire aurait eu besoin des soldats de Trajan, et il ne se trouvait sous les enseignes que des mercenaires sans discipline ni fidélité. Les anciens légionnaires avaient conquis le monde avec la pioche autant qu’avec l’épée ; leurs indignes successeurs sont incapables de tracer un camp. Les vieilles armes pèsent trop à leur mollesse ; ils veulent de petits boucliers et des casques moins lourds ; même en campagne, ils entendent vivre commodément, et, pour n’y pas manquer, ils s’embarrassent d’un train immense de bagages et de convois qui portent les vivres que les soldats ne portent plus. L’armée romaine ne sait plus marcher : il faut des mois à Constance et à Théodose pour joindre leurs adversaires.

Cet affaiblissement des qualités militaires était un mal déjà grave ; plus funestes furent les changemens dans la composition de l’armée. La crainte des conspirations sénatoriales, et le besoin de ne pas laisser le curiale échapper à ses trop nombreuses fonctions, avaient décidé les princes à interdire le service militaire à la noblesse d’état et à celle des villes. L’armée se recruta d’abord dans les bas-fonds de la population, d’où sortaient encore quelques Romains, mais, au IVe siècle, elle demanda ses soldats aux barbares. Un Germain coûtait peu, et le gouvernement vendit très cher aux possessores la dispense de fournir des recrues. Le trésor fit ainsi double gain ; mais cet expédient financier priva l’empire de troupes nationales. Des Francs, des Alamans, des Goths, des Vandales commandent l’armée romaine, et ils commandent à des soldats de même origine, qui souvent trahissent le secret des expéditions, tandis que leurs transfuges dressent l’ennemi à la discipline romaine, lui fabriquent des armes et lui révèlent les circonstances propices pour l’invasion d’une province. La garde de l’empire est remise à ceux qui le démembreront. Savons-nous ce qu’il y eut de défections à la journée d’Andrinople, cette seconde bataille de Cannes, où une partie de l’armée s’enfuit sans avoir combattu ?

Depuis Auguste, les empereurs avaient cru arrêter la barbarie en transportant des barbares sur la rive gauche du Rhin et sur la rive droite du Danube. Avec une armée vraiment romaine, le danger aurait pu être conjuré ; il devint redoutable avec une armée de Germains, dont les chefs, nommés par le prince ducs, comtes, membres du consistoire impérial, même consuls, tenaient le sort de l’empire dans leurs mains. L’invasion pacifique était faite dans les provinces et dans les dignités avant l’invasion violente ; l’une avait préparé