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républicains faisaient à leurs soldats, chaque prince nouvellement proclamé vidait le trésor public dans les mains de l’armée, celle-ci multiplia les vacances du trône pour multiplier les dons de joyeux avènement.

Enfin, la nouvelle constitution n’avait, au fond, d’autre principe que la volonté de l’empereur, de sorte qu’en un pays où n’existaient point de grands corps politiques capables d’imposer une certaine retenue au prince, l’empire sera à la discrétion du sage ou du fou, du général habile ou de l’enfant capricieux et cruel qu’une émeute de caserne ou une hérédité malheureuse portera au pouvoir. La Lex regia et la définition de l’autorité impériale donnée par Sénèque sont la formule la plus complète du despotisme oriental. Ce régime se dégagera lentement des apparences républicaines sous lesquelles Auguste l’avait caché ; lorsqu’il apparaîtra sans voiles, la première monarchie césarienne aura du moins donné au monde le singulier spectacle d’un empire de cent millions d’hommes régi durant deux siècles, à l’intérieur, sans un soldat. Cette merveille venait sans doute de l’impossibilité d’une révolte heureuse, mais aussi et surtout de la reconnaissance des sujets pour un gouvernement qui n’exerçait alors qu’une haute et salutaire protection, sans intervenir d’une façon tracassière dans l’administration des intérêts locaux.


VI

Rome a eu d’abominables tyrans, comme Caligula, Néron, Caracalla, Élagabal, dont les vices et les cruautés ne sont comparables qu’aux sanglantes orgies de certaines cours asiatiques ; mais elle a eu aussi de bons princes qui ont jeté sur elle un nouvel éclat et retardé son déclin. Au début, le prince gouvernait, il n’administrait pas, et le régime municipal florissant préparait les hommes de talent et d’expérience dont l’empire avait besoin pour conduire ses grandes affaires. Après les premiers Flaviens, l’Italie épuisée ne donna plus un empereur, excepté pour un moment, au temps des Gordiens, et le règne des provinciaux commença.

Ces héritiers d’Auguste, nés loin de la vieille terre de Saturne, sont d’abord les glorieux Antonins, venus de l’Espagne et de la Gaule, puis l’Africain Septime Sévère. Récemment appelées à la vie romaine, ces provinces l’avaient embrassée avec tant d’ardeur qu’elles avaient déjà envoyé, aux bords du Tibre, des orateurs, des poètes, des philosophes et qu’elles ont gardé, cachet ineffaçable mis sur elles par le génie de Rome, les ruines les plus nombreuses et les plus belles qui se puissent voir hors de l’Italie. Le règne de