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gouvernement intérieur, de véritables républiques, se formèrent les hommes qui, après avoir été les meilleurs lieutenans du prince, devinrent empereurs à leur tour et s’appelèrent les Antonins.

Une seule ville n’eut pas ces libertés. Satisfaite de sa grandeur incomparable, Rome ne réclama point ce que possédaient de simples communes urbaines, un sénat municipal, et, jusqu’à la fin de l’empire, elle resta soumise à un régime exceptionnel qui garantissait la sécurité du gouvernement contre une émeute populaire.

L’administration d’Auguste, suffisamment sage et paternelle, lui assura un règne paisible de quarante-quatre ans. Mais où étaient les garanties pour l’avenir ?

La république n’avait eu qu’une constitution de cité ; il aurait fallu donner à l’empire une constitution d’état. Auguste entrevit le problème et essaya de le résoudre. Mais les différences mises par lui dans les conditions ne réussirent pas mieux que la religion officielle et les assemblées provinciales à former un corps de nation. Sa monarchie resta un assemblage de villes soumises au même pouvoir, sans être animées d’un même esprit. Aux anciens jours, il y avait eu un peuple romain ; l’empire n’en aura pas, et sans peuple uni par des souvenirs et des affections héréditaires, point de patriotisme. Ceux qu’on appelle encore les Romains feront souvent des sacrifices pour leur municipe ; ils n’en feront pas pour l’état.

L’armée permanente fut une conception heureuse ; durant deux siècles et demi elle fit face victorieusement aux barbares. Mais en exigeant vingt années de service, et souvent davantage, Auguste rendit le recrutement annuel si faible que les peuples se déshabituèrent des armes : après le désastre de Varus, personne en Italie ne voulait déjà plus les prendre. D’autre part, les soldats, constamment réunis en des camps, où ils pouvaient se compter et s’entendre, comprirent que le prince et le trésor étaient à leur discrétion. Aussi vit-on presque autant d’émeutes militaires que d’avènemens d’empereurs. En trois siècles et demi, sur quarante-neuf césars, trente et un furent assassinés, sans parler des trente tyrans qui, moins deux ou trois, périrent de mort violente. Tant de meurtres prouvent que la constitution impériale était mauvaise pour le prince, qu’on assassinait ; mauvaise aussi pour l’empiré, qu’on ébranlait. A une monarchie il faut des mœurs et des institutions monarchiques ; il n’y en avait pas, et, puisque la république semblait conservée, on parla de liberté ; quelques-uns y crurent et la cherchèrent le poignard à la main. Un homme seul, sans cour, sans prêtres, sans noblesse, sans rien qui le protégeât en le couvrant, était maître du monde ; beaucoup le menacèrent : assiduœ in eum conjurationes. Il se défendit en s’appuyant sur les légions, et, comme en souvenir des libéralités que les triomphateurs