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de tous les adversaires du parti des grands, présenta des lois d’une extrême importance : aux pauvres, des terres publiques, et, si elles ne suffisaient pas, des héritages achetés avec l’or conquis sur Mithridate et Tigrane ; aux provinciaux, de sérieuses garanties de bonne administration ; aux concussionnaires, des sévérités capables de les intimider ; aux publicains, une diminution d’un tiers sur la ferme des impôts de l’Asie que les guerres récentes avaient ruinée. C’étaient les Gracques qui renaissaient dans un homme de génie. Les trois premières de ces lois étaient d’excellentes réformes pour le peuple, comme pour l’empire, et la dernière un acte peut-être intéressé mais juste. Le sénat les regarda toutes, non sans raison, comme dirigées contre lui, et il les combattit. Le peuple les vota, puis en récompensa l’auteur par la glorieuse mais difficile mission d’arrêter en Gaule une formidable invasion germanique.

Pendant que César gagnait, au-delà des Alpes, le renom du plus grand capitaine de Rome, un autre des triumvirs, Crassus, allait se faire tuer sottement par les Parthes, et le troisième, Pompée, blessé dans son orgueil par la réputation croissante du conquérant des Gaules, passait à l’oligarchie. La situation se simplifiait, la lutte était moins, à présent, entre deux partis qu’entre deux hommes : Pompée devenu le chef de la faction des grands, César resté le représentant des intérêts populaires, et tous deux, par des raisons très différentes, résolus à prendre le premier rang.

L’un, vaniteux personnage, sans autre idée politique que celle de sa grandeur personnelle, avait servi toutes les causes et, après avoir aidé à détruire la constitution aristocratique de Sylla, il revenait à ceux qu’il avait désarmés. « Étaler, dans Rome, une toge triomphale » suffisait à cet orgueil stérile. L’autre, non moins ambitieux, mais d’une ambition plus noble, voulait le pouvoir pour commander, et aussi pour agir. Il avait reconnu que cent années de guerres civiles et de scènes sanglantes avaient produit un besoin extrême de repos et de sécurité. Le peuple ne pouvant gouverner dans ses comices cet empire immense, et les grands le gouvernant mal, il ne restait qu’une solution, celle d’une monarchie républicaine dont le chef reprendrait la politique des anciens tribuns pour la protection du peuple et la sagesse de l’ancien sénat pour l’assimilation progressive des sujets aux citoyens. Comme toutes les solutions, celle-ci avait ses dangers ; mais, dans la situation présente de Rome, elle était la meilleure. Tacite l’a pensé et il a eu raison.

Dans la faction des grands se trouvaient des hommes que nous respectons encore pour leur caractère, leur vertu ou leur talent ; mais la politique est faite de sagesse, non de vertu, ni d’éloquence ; ces qualités valent à l’homme public plus d’autorité ; elles ne lui donnent pas nécessairement l’intelligence des vrais besoins de l’état.