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pauvreté, et la puissance militaire de Rome amoindrie par la diminution du nombre de ceux que la loi appelait au service, ne redoutaient pas seulement la perte de la liberté, ils craignaient celle de l’empire. Les seconds s’inquiétaient peut-être de ce double péril, mais, de plus, ils voulaient jouer dans l’état le rôle qu’ils croyaient dû à leur mérite, et partager des honneurs, des profits qui leur étaient refusés. La formation de l’oligarchie avait donc eu comme contrecoup inévitable la reconstitution d’un parti démocratique avec des nobles à sa tête pour le conduire, et les Gracques, en rendant au tribunat sa sève populaire, avaient montré de quelles armes il fallait se servir pour le nouveau combat. Après eux, il y eut toujours, au banc des tribuns, un héritier, sinon de leur esprit politique, du moins de leur puissance factieuse à soulever la masse des pauvres ou celle des Italiens.

Un ancien client des Metellus, devenu le vainqueur des Cimbres, vengea les Gracques sur les fils de leurs meurtriers. Aux proscriptions de Marius qui décima la noblesse, répondirent celles de Sylla, qui crut détruire le parti populaire. On ne tue pas les foules, encore moins la justice. La dictature de Sylla, ses meurtres, ses lois ne purent supprimer la question que se faisaient des hommes avides, mais aussi des hommes honnêtes : Pourquoi un petit nombre de citoyens jouiraient-ils seuls des profits de la conquête que tous avaient payée de leur sang ! Pourquoi les consulats, les prétures, les gouvernemens lucratifs et les triomphes seraient-ils le patrimoine héréditaire de certaines maisons ? Pourquoi, enfin, le mouvement ascensionnel qui, au grand avantage de l’état, avait porté en haut tout ce qui s’était produit en bas de vertu, de courage et de sagesse, serait-il arrêté ? Quand ces idées-là se discutent, la révolution est proche. Et elle l’était d’autant plus que les débiles héritiers de Sylla, n’ayant gardé de son esprit politique que le mépris de la vie humaine, ne cachaient pas leur résolution d’en finir, comme lui, avec le parti populaire, par des égorgemens.


V.


Ce que des votes n’avaient pu faire, l’épée l’accomplit ; les soldats prirent la place du peuple et les généraux celle des tribuns. Trois des plus renommés, tenus à l’écart par les grands, ou qui se crurent mal récompensés de leurs services, mirent en commun leurs rancunes et leur ambition, pour abattre le gouvernement oligarchique, qui, détesté du peuple, venait encore de s’aliéner l’ordre équestre en refusant une modification nécessaire aux contrats souscrits par les publicains. César, porté au consulat par une coalition